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Chef d’œuvre?

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Chef d'œuvre

Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre est ou devient un chef-d’œuvre ? Vous avez quatre heures ! Nah, je déconne, vous avez bien plus de temps… C’est une nouvelle énième réflexion que je me suis faite en réécoutant un album « oublié » depuis un moment sur une étagère de ma discothèque (pas de boule à facettes, tu peux rentrer même si t’as des baskets…)

Pourquoi cette question, me direz vous (et je vous remercie d’avoir posé la question) ? Parce que ce CD, cet album redécouvert EST un chef d’œuvre ! Pardi ! Mais surtout parce que personne n’est à l’abri de tomber sur un chef d’œuvre, de ressentir ce petit truc en plus que n’ont pas d’autres œuvres. Pour éviter de me disperser, je ne vais traiter présentement que de cet aspect dans le domaine métallistique, puisque cette notion pourrait s’étendre à toute autre forme artistique, selon les affinités bien sûr. Tout comme moi, j’imagine que vous ne vous bornez pas à n’écouter que du metal ou qu’un seul genre voire sous-genre de metal. Inéluctablement, cette (petite) dissertation, pas du tout au format thèse-antithèse-synthèse pour les lauréats de Khâgne qui pourraient se perdre dans cette logorrhée hasardeusement, sera éminemment subjective, vous vous en doutez, puisque l’Art en lui-même EST subjectif, le Beau EST subjectif ; quant à l’objectif, à défaut d’objectivité, de ce laïus, à part occuper votre temps de cerveau disponible, user votre forfait internet et avoir des anecdotes à raconter aux copains, c’est aussi de vous aider, peut-être et en toute mesure et humilité à trouver VOTRE chef-d’œuvre, si ce n’est pas encore le cas… parce qu’on n’est jamais à l’abri.

Déjà, je vais de suite annihiler cette notion temporelle des « quatre heures ». Pourquoi ? Parce que malgré l’intemporalité relative du chef-d’œuvre stricto sensu, vous avez le temps d’en voir venir, voire d’en découvrir dont vous ignoriez l’existence, au hasard d’une playlist random sur votre plate-forme d’écoute préférée ou parce qu’une connaissance vous l’a suggéré « et on sait jamais… » Et puisque la vie « c’est comme une boîte de chocolats », je vous souhaite une bonne crise de foie, et plus d’une fois !

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On va commencer par le chef-d’œuvre « parce que c’est un chef-d’œuvre ! », vous savez celui que tout le monde aime et qu’il faut absolument que vous aimiez en ponctuant de « on a-dore ! ». Ou « on va-lide ! » selon votre entourage et son empreinte carbonée dans le monde des fashionistas. Est-ce vraiment un chef-d’œuvre auquel vous êtes exposé ? Probablement, mais le fait qu’on vous l’impose comme tel n’aide pas forcément à l’interpréter comme tel parce qu’il dépend surtout de votre place et rôle au sein du groupe et n’amène pas à faire jouer votre libre arbitre. Le nombre de fois où j’ai entendu « tu ne peux pas ne pas aimer » ou « ça va forcément te plaire, c’est tout toi ! », bah… en fait, si : ça ne me parle pas et, finalement, peut-être que tu ne me connais pas autant que tu penserais (un peu comme les cadeaux qu’on fait à Noël en se faisant ce même genre de réflexion biaisée par le fait que si ça nous plait, on pense que ça va plaire à l’autre, influencé(e) par notre propre affect… et qui finissent direct sur BackMarket, Vinted ou pour les boomers, Ebay, dans la catégorie « canards »). C’est d’autant plus ballot quand tu ne cherches qu’à faire plaisir, mais finalement à qui : à toi parce que ça a fait/aurait dû faire plaisir, ou à celui à qui était destiné ledit cadeau ? Bref, possibilité d’échec certaine du forcing, comme toutes les fois où chacun d’entre nous s’est efforcé pour faire plaisir quand c’est contre sa propre nature, pour appartenir au groupe, à la tribu, au couple pourquoi pas – je vous invite à (re)lire Bourdieu et réfléchir Sociologie au cas où, ça remet des choses en place quand on voit et pense à ce qu’on fait pour appartenir à un groupe, ce qui dans notre cas métalleux peut aller d’un extrême à l’autre depuis payer son cul devant les caméras de Quotidien jusqu’à sacrifier des vierges sur un autel parce que Satan l’a exigé poliment, dans le respect de la personne humaine (bon, on n’en est peut-être pas à ce niveau-là mais la team Mayhem a des anecdotes croquignolesques de trucs bien cringe à son actif, si vous avez la flemme de vous taper leur bio officielle, regardez celle pas mal romancée dans Lords of Chaos).Par-delà l’influence de la tribu, il y a aussi et surtout celui qu’on vous conseille sans vous forcer la main et qui s’avère devenir « votre » chef-d’œuvre malgré tout. Chez Memento Mori (et d’autres ‘zines aussi, hein, pas de sectarisme), on vous propose des chroniques subjectives, sans vous forcer à écouter (putain, j’ai l’impression d’être un VRP qui fait sa com’) et, sait-on jamais, vous offrir la possibilité de découvrir ce chef-d’œuvre… Ça m’est arrivé plus fréquemment de découvrir des pépites par ce biais… le hasard… le « on sait jamais » … Pour ma part, je vais revenir sur une découverte marquante, le groupe de Death Mélo Mors Principium Est, découvert parce qu’un gratteux avec qui je devais – et ça n’a pas pu se faire – bosser l’avait lui-même découvert par hasard et avait oublié un CD gravé dans mon bureau (acte manqué ? je ne saurai jamais et OSEB), celui de l’album Inhumanity… Une tarte ! Boudiou, c’te tarte ! J’écoutais pas mal de choses diverses et variées, avais déjà quelques chefs-d’œuvre dans ma besace d’auditeur mais mon conduit auriculaire est passé en état de turgescence… donc naturellement envie d’en découvrir davantage, achat du VRAI CD (parce que c’est sympa d’aider les petits artisans en les finançant), puis de son prédécesseur, Pure, lui-même excellent… et on arrive à ce que je considère comme leur chef-d’œuvre, Liberation = Termination. Autant j’ai du mal avec le concept de perfection, autant je le trouve parfait : une teinte particulière, une carritude exemplaire, un juste équilibre de brutalité et de mélodie, de saturation et de clarté… une sorte de Caravage metal dans sa claire-obscurité. D’autres groupes possèdent également ces caractéristiques (je pense à Fleshgod Apocalypse, qui a été également une bonne baffe d’une main italienne gantée de velours et d’acier dans ma tronche, particulièrement Agony et Labyrinth, voire King puis ça s’est affadi) mais pour moi, cet album reste inépuisable malgré le fait que je l’ai sur-écouté. Et même si son successeur, And Death Said Live (dont je parlerai plus bas), est d’une qualité également excellente, il n’arrive pas à un tel niveau de grandeur selon mes normes.

D’ailleurs ! Il y a aussi le chef-d’œuvre qu’on (re)découvre perpétuellement, avec des petits détails insignifiants et qui pourtant se dévoilent encore à votre oreille malgré le fait que vous ayez poncé l’album de long en large… et pourtant… Ça tombe tellement « sous le sens » que certains albums sont des chefs-d’œuvre, des albums qu’on a usé jusqu’à la corde au point que le saphir de la platine saigne encore des croches-deux-doubles (je dis ça parce que je pense à The Number of the Beast et le « tagada » maidenien, on pourra en reparler plus tard parce que ça cumule les qualités, même pour les aficionados de la mauvaise foi et leur « c’est surcoté ») et malgré tout, en réécoutant, on trouve une nouvelle subtilité, même au bout de l’ixième écoute, une harmonie, une respiration qui ajoute une émotion, que sais-je… Je vais prendre l’exemple tout récent (pas plus tard qu’il y a une heure) du Operation : Mindcrime de Queensrÿche. Encodage oblige parce que plus de lecteur CD dans les voitures actuelles, je me le suis mis dans ma looooongue liste de « tiens, je vais mettre ça sur ma clé USB pour la route ». Et alors, redécouverte ! Il va de soi que malgré l’affect « chef-d’œuvre » qu’il avait déjà pour moi et malgré la kyrielle d’écoutes plus ou moins successives, j’ai noté de nouveaux petits détails insoupçonnés alors que, pourtant, je pensais l’avoir épuisé au fin fond de mon conduit auriculaire. Un soupir de Geoff Tate, une ghost note dans un fill de batterie qui change un élan, un phrasé mélodique initié par un bend et… ça me confirme ce que j’en pensais préalablement : chef-d’œuvre.

Est-ce que, finalement, le chef d’œuvre ne serait pas celui dont on ne se dit ou ne se dira jamais « j’aurais pas fait comme ça ! » ? Dans lequel on considère qu’il n’y a rien à jeter ? Ça fonctionne notamment pour les concept albums, comme le Crimson Idol de WASP, ou le Symphony of enchanted Lands part II de Rhapsody. Au risque de faire une généralité voire une banalité, il vaut mieux qu’un concept album soit bien chiadé, même s’il y a des instants moins intenses que d’autres, des respirations dans le rythme ou l’avancée de l’histoire… Ça doit s’équilibrer, évidemment et nécessairement, mais c’est un réel effort de composition et de réflexion de sa propre œuvre comme un tout. [NB : je défends et défendrai toujours le CD ou Vinyle parce que le mode de consommation au format single actuel fait qu’un album devient un enchaînement et plus une entité propre, avec ses transitions piste à piste, tout se perd, que voulez-vous…] Dans ces deux exemples, on se trouve face au travail de composition qui semble le plus abouti car réfléchi, à la manière d’un compositeur de l’époque Romantique, avec des leitmotivs et des thèmes récurrents, des plages ambiantes, des récitatifs et des narrations comme auraient pu le faire des Wagner, Verdi ou Prokofiev. Même si beaucoup d’albums fonctionnent sur un « simple » enchaînement de morceaux [je mets ce terme entre guillemets parce que l’équilibre d’un album est toujours précaire, surtout s’il n’est pas réfléchi comme un tout], l’atout de création artistique que suppose le concept album, c’est son entièreté. Mon contre-exemple serait (et malgré toute l’affection voire l’adoration que je lui porte, entre autres pour la nostalgie de réentendre la voix de feu Andre Matos) le Avantasia premier du nom de Tobias Sammett, excellent album/opéra metal mais auquel il manque cette conception totale, cette vision d’ensemble qui aiderait à appréhender l’œuvre comme un tout indissociable et pas une piste excellente, puis une autre un peu moins, puis une autre, puis une autre (ad lib).

« Des fois, on croit que c’est les bons gens… et en fait, c’est pas les bons gens… » (Kyan Khjandi) Il en va de même pour le chef-d’œuvre : des fois on croit que c’est un chef d’œuvre mais en fait non, mais quand même, et on le défend parce qu’on l’aime bien quand même aussi, avec une dose plus ou moins assumée de mauvaise foi ou de démonstration scientifique, voire de circonstances atténuantes. Tout comme on peut trouver d’une laideur incroyable un Guernica de Picasso mais comprendre le pourquoi du comment en contextualisant et se rendant compte que la force de l’œuvre est sa laideur pour traiter de la situation (dé)peinte, on peut se faire défenseur d’un œuvre, voire d’un chef-d’œuvre, qui nous parle très personnellement parce que… sons sens… sa signification… l’échec à exprimer du Beau mais la réussite à le faire dans l’erreur ou l’imperfection. Je parlais plus haut de And Death said live de Mors Principium Est ; cet album est loin d’être mauvais, pire il est même très bon et sa hargne et sa haine et sa solidité tiennent au fait que le groupe a partiellement splitté après Liberation… ce qui est peu ou prou relaté dans le morceau d’ouverture « Departure », avec sa dose de fiel nécessaire. Si on vous a fait croire que seuls les sentiments positifs peuvent faire accoucher d’une œuvre voire d’un chef-d’œuvre, remettez en question cet axiome : Les Fleurs du Mal ne sentent pas la rose mais la Charogne, et cet album sent la rancœur et la rancune, ce qui en fait une œuvre avec un ton très différent, pas loin du chef-d’œuvre mais avec ce petit manque lié à l’impulsivité qui anéantit la capacité de recul. Peut-être que les membres du groupe, auteurs de cet album, se diraient eux-mêmes que ce « j’aurais pas fait comme ça, avec le recul » était de bon aloi. Malgré ceci, je continuerai de défendre aussi cet album parce que cet état d’esprit en fait un album à part dans leur discographie et, à défaut d’égaler le précédent, vaut quand même son poids en excellence et en satisfaction. Dans la continuité de cette approche « je prends la défense », on va parler d’un groupe qui me parait pas mal bipolaire (du moins son leader assurément) : Machine Head. Et je vais faire le focus particulièrement sur Catharsis, le mal aimé, à tort ou à raison en tout cas je vais vous expliquer pourquoi je le soutiens, sans mauvaise foi et pourquoi, sans être un chef-d’œuvre pour moi à proprement parler, il tient une place spéciale. Car en effet, il y a des raisons de ne pas aimer cet album décousu, qui passe du phoque à l’âne, qui semble ne pas avoir de ligne directrice, d’une direction artistique bancale voire d’une production inégale… Bah oui mais se trouver face (ou pas) à un chef-d’œuvre, c’est aussi se demander pourquoi. Pourquoi on arrive à ce résultat, pourquoi l’auteur en a fait ce démiurge, cette créature difforme quand il avait l’habitude de quelque chose de plus cohérent, comme si Monnet était passé de son Impressionnisme usuel (et avec sa myopie et sa future cataracte… escroc !) à du Réalisme des plus pointilleux et tatillons sur le sens du détail (merci Zeiss pour sa correction optique). J’ai fit parti du peu de personnes qui ont défendu Catharsis parce que ça m’a semblé bizarre… inhabituel… incohérent… et pourtant, si on regarde le contexte, et même le titre de l’album, on comprend ou finit par comprendre où voulait aller Rob Flynn ; c’est sa propre catharsis, sa séance de psychanalyse qu’il a partagé, et tout l’album prend une couleur différente et même prend sens, de l’alpha à l’oméga, comme une sorte de Requiem avec son Introit, son Dies Irae, son Lacrymosa et pour finir, son Libera me…

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Ça va vous paraitre d’autant plus étrange que je défende Catharsis juste au-dessus quand je vais parler d’un autre album, de Machine Head itou, qui fait partie des chefs-d’œuvre que je qualifierais de « tardifs », AKA « l’album de la maturité ». Techniquement, c’est censé être le troisième album, running gag d’intervieweurs… J’imagine que, de toute façon, on ne peut vraiment faire le point que quand arrive ledit point, celui final, celui qui signe la terminaison, l’achèvement d’une vie, le « the end » d’une carrière… Que nenni ici puisque c’est, pour moi, Unto the Locust, septième (!) album, qui tient cette place dans mon petit cœur (de) fragile fait d’alliage (celui de métal, hein, pas le boys band) It ain’t ironic ? Oui, en effet, c’est d’ailleurs ce qui est intéressant ; je reviens sur The Number of the Beast évoqué plus haut, troisième album donc de Iron Maiden et qui tient lieu de chef-d’œuvre, ordre que je pourrais reporter à moults groupes de Metal (Metallica et son Master of Puppets, Slayer et son Reign in Blood, Guns n Roses avec les Use your Illusion, Megadeth avec… ah non, merde, ça marche pas : Rust in Peace, c’est le quatrième…) A l’instar de NumberLocust contient tout : un équilibre, une patte, un son, une qualité, une réflexion d’ensemble, un savoir-faire, du talent… de la maturation voire de la maturité. Si l’âge n’attend pas le nombre des années (ou celui de la Bête… lol), il fluctue inévitablement en fonction des décisions ou choix avec un impact variable sur l’avenir voire la longévité d’un groupe… et probablement qu’on est passé à côté d’une multitude de chefs-d’œuvre à cause de ces choix approximatifs… et Machine Head en a faits… et a réussi à pondre CE chef-d’œuvre, probablement le plus abouti de leur carrière – même si Bloodstones and Diamonds est une pépite, je le place un peu en dessous du piédestal.

Il va de soi que je n’aurai pas abordé le sujet en profondeur, limite seulement effleuré ou survolé, en me servant d’exemple personnels (et subjectifs, en toute logique) mais, bon… votre temps de libre est une chose, en perdre quand on a suffisamment de clés pour continuer son intime réflexion est fort inutile. Aussi, et pour finir – et pour contrer aussi ce raisonnement dont je vous abreuve depuis plusieurs lignes voire pages… et aussi parce que la contradiction avec soi-même apporte du sel à sa propre réflexion –, je vais donc aborder une ultime question, que chacun peut se poser vis-à-vis de sa propre consommation [qu’est-ce que j’exècre ce terme !] de musique, metal en l’occurrence : le « chef-d’œuvre » qui s’use à force de trop l’écouter, dont on a fait le tour, est-il vraiment un chef-d’œuvre ? Je vous invite à consulter un autre de mes très (trop ?) longs baratins sur la notion de péremption d’un groupe et/ou sa musique, son œuvre. Est-ce qu’on ne continue pas à aimer et porter aux nues une œuvre dont on s’est convaincu de sa qualité inaliénable de « chef-d’œuvre », avec son préfixe bien marqué et affirmé, comme on continuerait d’aimer la personne avec qui on est depuis des années parce que « c’est plus de la passion mais de l’affection, les relations changent » ou cela amène-t-il à revoir sa façon de considérer l’amour, l’adulation, l’affection et les remettre à leur niveau hiérarchique sans pour autant les dénigrer, dans la perfection de leur imperfection (coucou Painkiller, album parfaitement imparfait de Judas Priest), avec ces petits défauts qui font leur personnalité – voire forgent leur statut de chef-d’œuvre – tout comme la femme de Robin Williams dans Will Hunting et ses pets, le détail le moins intéressant mais le plus mémorable d’une vie, et qui fait qu’on glorifie un album comme un enfant qu’on aurait soi-même fièrement porté ?

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