Texte de WvG
Les metalleux sont de grands romantiques… Voui, voui, voui, il y a un petit cœur d’artichaut qui bat sous cette pilosité – plus ou moins – abondante… Sinon comment expliquer que les plus grandes balades et slows soient signés par des groupes connus pour leur gros son ? Est-ce par manque d’inspiration, par volonté de toucher un public plus vaste ou… simplement pour éviter de tomber dans les clichés du zicos stéréotypé du genre bre-som, voire exprimer sa nature duelle ?
C’est en jetant un coup d’œil au live report des collègues et tombant sur Extreme, groupe qui porte peut-être bien son nom mais est aussi auteur d’une des plus célèbres ballades du genre, « More than Words », que m’est venue l’idée de disserter sur ce sujet, en complément avec une discussion avec Mémé Migou sur ce que peut rechercher un metalleux dans le genre musical idoine. Petit tour d’horizon de cette dualité, justement, en survolant différents aspects de cette création musicale…
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Commençons par les plus célèbres, celles pas forcément destinées « à tout le monde, à tous mes amis » mais celles où rien d’autre n’importe…
La petite histoire veut que James Hetfield était au téléphone avec sa dame, sanglé guitare au cou et s’est mis à jouer les cordes à vide, s’empressant de s’écrier « Eurêka »… ou alors c’est Archimède, mais il m’arrive de confondre… Metallica étant quand même connu pour être le groupe instigateur du Thrash Metal, les aficionados en ont conclu que c’était le début du déclin de l’empire américain, le Black Album étant le point de non-retour du groupe vers la popisation de leur musique… et pourtant le groupe continue d’assumer ce morceau qui les a fait connaître d’un plus large public et désaimer des « true ».
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Un autre groupe à renommée internationale a subi ce même jugement de valeur : « L’amour, ce n’est pas un homme… fuck, un ami, ce n’est pas… » en disait Bruce Dickinson sur le Real Live One.
Et pourtant, présent sur l’album Fear of the Dark – album célébrissime et surestimé du groupe, dans lequel seuls quelques titres valent le détour, y compris celui éponyme, mais que j’affectionne quand même –, qui débute quand même par « Be quick or be dead », on ne s’imagine pas que va se retrouver un morceau aussi exceptionnel en termes de musicalité, même si les guitares harmonisées et le solo made in Maiden y sont toujours présents, quand le groupe nous a habitués à son riffing tagadesque trademark et reconnaissable entre tous.
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Ce qui fait la puissance d’une ballade Metal, c’est justement sa brutalité inhérente au Metal : passer des arpèges en son clair vers du lourd au son saturé, ça semble tellement évident dans le Metal qu’on se demande pourquoi ça ne tombe pas sous le sens. Et même Pantera dans l’album qui les a révélés – non, je ne parle pas de leur glamouze Power Metal 😉 – n’échappe pas à cette règle de composition avec un « Cemetary Gates » qui envoie son pesant de technique mais aussi de sensibilité typée Pink Power. Mais ce n’est pas le morceau le plus intéressant… Attardons-nous sur celui-ci :
Les chansons d’amour, c’est bien… mais quand ça évoque la frustration, le post-rupture plutôt que la drague ou la déception, c’est d’autant plus intéressant parce que la colère s’exprime légitimement plus aisément avec un riff sale et distordu…
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Certains hits sont des attendus, une fois accepté le concept qu’un groupe de Hard Rock ou Metal peut se permettre de faire de la « chanson à l’eau de rose » … et quand on est un groupe en pleine ascension, c’est limite une obligation… donc quand on est un groupe « sulfureux » comme les Guns and Roses, ça semble évident… Et là, vous vous dites « et merde, il va nous poser un « Don’t cry » prévisible ou d’un « Sweet Child o’ mine »… » Que dalle ! Jetez votre oreille sur celui-ci :
N’en déplaise à mon confrère JP, c’est le seul morceau vraiment sauvable de cette Arlésienne qu’a été Chinese Democracy… et aussi la démonstration, si elle était encore nécessaire – quoique, à cette époque, elle l’était – qu’Axl W Rose était (est ?) une grande voix de la scène et apte à vous coller les poils sur un morceau aussi bien foutu, avec une thématique bien plus sensible et honnête qu’un mièvre « pleure pas parce que je t’ai quittée » mais un « je ne trouve un sursaut de self esteem que dans le regard que tu me portes », d’autant quand tu as des facilités à te comporter comme un gros crétin égocentrique. Ce morceau est à la limite d’être entendu comme un « All Apologies » de Nirvana combiné à un « Si j’étais moi » de Zazie, dans deux autres univers musicaux.
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Il y a celles qui annoncent les mauvaises nouvelles. J’en avais parlé précédemment dans un article sur le Memento mori avec Architects et ce morceau éponyme à la thématique artistique… Il fallait que j’en parle avec Queen. Et, non, perdu ! Pas avec « The Show must go on », qui est en effet une ballade, probablement la plus noire du groupe eu égard à son contexte en corrélation avec les sous-entendus de ses paroles. Noooon… je vais parler (rapidement, hein) de celle présente sur la bande originale de Highlander, « Who wants to live forever ».
Ce morceau a de nombreuses particularités puisque derrière sa logique inhérente à sa présence sur la BO de ce film, le fait d’être condamné à l’immortalité… pour un immortel, tel que le veut le scénario, il y a aussi un sous-texte et commencer le morceau comme un requiem, avec l’omniprésence d’un orgue et d’un orchestre à cordes quand tu es un initié à la musique « classique » et l’opéra, ça n’annonce rien de bon… d’autant quand tu sais que Freddie Mercury avait déjà connaissance de sa contamination au HIV.
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De manière imparable, il y a les « classiques », justement, tellement devenus des stéréotypes qu’on en oublie que leurs auteurs sont avant tout des techniciens Hard Rock et Metal. Si je vous dis « ce soir, j’ai les pieds qui puent », ça vous parle ? Si oui, vous avez reconnu « Still loving you » de Scorpions ; si non, vous ne pourrez plus jamais l’écouter sans entendre cette hallucination auditive…
En effet, Scorpions, groupe de Hanovre (Allemagne), même s’il est auteur de nombreuses ballades comme « Holiday » ou « When the Smoke is going down » (qui traitent davantage de la distance avec leur foyer/femme que d’amour en soi), ce titre des plus célèbres de leur discographie voire la plus célèbre des ballades est sur la même thématique mais avec la notion de couple qui part en cacahuète… Hé oui, c’est dur, la vie d’artiste… « Always somewhere »… « missed you where I’ve been » chante Klaus Meine dans cet autre morceau… Ce qui est intéressant, c’est quand un autre groupe célèbre (mais plus récent) reprend ce tube qu’est « Still Loving You » en lui ajoutant une pointe d’ironie simplement en transformant un pronom, « remake OUR (notre) love », en « your »…
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Ce groupe en question, c’est Sonata Arctica, sur leur EP Successor (avec « Full Moon » entre autres), puis l’album Ecliptica. C’est assez ironique de mettre de l’ironie dans cette reprise, le groupe étant fréquemment dans la première partie de sa carrière torturée par une certaine Dana :
Là, l’ironie fait place à la fragilité… la timidité… Ce personnage aussi récurrent que Charlotte la courtisane dans la discographie d’Iron Maiden revient sous la forme de lettres envoyées et non lues dans « Letter to Dana ». Cette idée générale va se commuer au fil des albums sous les traits d’un Caleb et une Juliet qui tels, les Capulet et Montaigu, vivent des amours mortes qui n’en finissent pas de mourir.
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Quoi de mieux qu’une scène Speed Melodic (AKA par la suite « Power Metal ») pour trancher nettement sur le tempo tout en restant droit dans ses bottes de mélodistes… et c’est sans difficulté que la transition se fait avec les mentors de Sonata Arctica, à savoir Stratovarius. Les scandinaves ont beau affronter le froid, le chaud est dans leur cœur (j’aurai l’occasion d’en reparler plus bas) et ce groupe finlandais ne déroge pas à la règle. Si la distance est évoquée également dans « A million Light Years away », il y a pléthore de ballades dans leur discographie, en particulier une sur le même sujet :
Outre les standards de la thématique amoureuse dans des « Forever » et son quatuor à cordes en accompagnement ou un « Black Diamond » – oui, Visions est empli de ce type de morceaux – ce qui change ici est la dualité sonore entre la douceur acoustique et ce crescendo émotionnel qui amène au climax d’une guitare lead qui virevolte en arrière-plan, d’abord harmonique sur les refrains puis solo puis en perpétuel fill jusqu’au climax et au fade…
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Le plus risqué quand on entre dans le domaine de la ballade est de toucher des sujets moins « accessibles » que la relation amoureuse. Ici, on est sur le deuil avec « Dead Boy’s Poem » sur le Century Child de Nightwish.
Difficile de ne pas avoir les poils dès les premières notes vocales de Tarja, a cappella, en sanglots. On sait que l’auteur de ce morceau, Tuomas Holopainen, ne respire pas la joie de vivre mais davantage la mélancolie ; il réussit avec ce titre à faire la démonstration de ses talents de compositeur en sachant que ses comparses interprètes vont en faire un morceau essentiel de l’album voire de leur discographie.
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Quant à parler de deuil, si je vous dis Paradise lost, vous me dites… ? Oui, évidemment, l’album de Symphony X, inspiré du Paradis perdu de Milton, probablement le plus dark du groupe, qui pourtant avait déjà habitué son public à des ballades sombres (« Lady of the Snow » sur Twilight on Olympus, par exemple). Voici donc « The Sacrifice » :
Ce morceau sombre, dans une ambiance elle-même pas très joyeuse pour le groupe (qui n’ira pas en s’améliorant, le bassiste Michael Lepond ayant été diagnostiqué de la maladie de Crohn, s’ensuivra leur batteur Jason Rullo et ses problèmes cardiaques…), voit surtout son évolution tantôt dans l’espoir puis le désespoir s’épanouir avec la voix très crunchy de Russel Allen, dans la brutalité jusqu’à son dernier sotto voce sur le mot « love ».
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Des voix intenses, il y en a évidemment beaucoup dans le sous-genre Sympho/Mélo/Prog… Si les cadors du style sont assez rares en France (Heavenly, Dream Child), on y trouve le projet solo de Stephan Forte, Adagio, et surtout un morceau extrêmement puissant. « Kissing the Crow » est un exemple dans le genre, sur l’album Dominate… Mais celle-ci est d’autant plus évocatrice :
Ce cri du cœur, ce « I love you » (2’43 pour les analystes qui se dispenseraient de la partie ressentie) dépasse toute puissance émotionnelle envisageable quand la partie de piano n’est pas sans évoquer le tragique d’un « Il mio refugio » de Richard Cocciante ou « Un homme heureux » de William Sheller.
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Je ne sais pas si on peut considérer le « Orgasmatron » de Motörhead – superbement repris par la suite par Sepultura – comme une ballade. Toujours est-il qu’elle sera moins encline à soulever votre cœur d’airain sous la veste à patches que votre doigt de métal dans ce jean slim. Pour transiter, je pourrais parler de l’ode à la nécrophilie qu’est « Je ne t’ai jamait autans aimée » des troubadours modernes que sont Ultra Vomit, mais je vais rester dans la poésie et les grandes voix puissantes en jean slim et veste en jean patchée : Skid Row, avec non pas « 18 and Life » ou « Wasted Time » mais « Quicksand Jesus », sur le même album Slave to the Grind.
On pourrait presque mettre en lien cette chanson sur la perte de foi avec « The Darkness within » de Machine Head, même si le ton de cette dernière est nettement plus véhément, Rob Flynn n’ayant que rarement caché son désamour pour la religion catholique.
[On bâtit des cathédrales pour notre douleur, établit des monuments pour atteindre la libération de nos cicatrices et péchés… Pour qu’au final on se noie dans les ténèbres intérieures.]
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Nous arrivons sur la fin, non pas de l’histoire mais de cet article et c’est donc maintenant qu’on peut aborder les ballades assez inattendues – déjà, Machine Head en soit, c’est pas forcément des plus évidents. Par exemple, chez Cradle of Filth, plutôt connu pour la voix criarde de Danny Filth, on n’imagine pas entendre ceci :
Alors évidemment, ce n’est pas tout naturel dans le langage musical du groupe, plutôt axé BM sympho mais le choix est judicieux cependant pour clore l’album Nymphetamine : un morceau en duo avec Liv Kristine sur une ambiance gothique et fond de romance et de drogue, plus ou moins dans la thématique vampirique du Only Lovers left alive de Jim Jarmusch, lui-même une adaptation (très très personnelle, hein) du bouquin éponyme de Dave Wallis (qui est autant une bible pour les nihilistes que l’est la littérature de Bukowski pour les épicuriens ou On the Road de Kerouac pour les hippies).
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Pour rester dans la « Beat Generation », faisons le lien avec… Judas Priest… « Hmmm ? » me ferez-vous… et à tort : le lien est Joan Baez, particulièrement « Diamonds and Rust », reprise par Priest.
- Hé maaaaais… c’est pas une ballade !
Alors en fait, à l’origine, oui… puis la team Halford l’a métallisée sur l’album Sin after Sin… puis en fait, ils se sont rendu compte qu’en ballade, bah, ça passait nettement mieux :
Et c’est toujours le même refrain/this is the same old song : la thématique de la distance, celle de Joan Baez originale dans la génération beatniks, « sur la route » pour citer Kerouac, ou en tournée pour Judas Priest. Une chanson qui a donc elle-même vécu son voyage intérieur.
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Qui s’attendrait à ce que Candace Kucsulain de Walls of Jericho vous fasse verser une larme autrement qu’en vous balançant un genou dans les testicouilles ? Et pourtant la dame à la voix qui ferait fermer sa grande bouche au premier mâle sigma en vue est aussi capable de vous retourner par sa tendresse et sa profondeur sur deux morceaux à thématique similaire, la dépression, l’un sur With Devils amongst us, « No saving me », l’autre sur No One can save you from youself, « Probably will ».
Enjoy [NB : à ne pas écouter si vous êtes déjà en bad…]
Si la première laisse encore une once d’espoir, la seconde est un signal d’alarme. La santé mentale devenant un sujet de plus en plus présent dans la société et ses artistes, rien d’étonnant à ce que la ballade Metal ait petit à petit pris cette tournure, de plus en plus éloignée – elle aussi – des premières amours thématiques.
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Pour finir ce petit voyage cardiaque, cette balade des gens heureux au petit cœur tout mou de velours mais tenu dans un gant de cuir clouté, je vous propose, pour rester dans les voix féminines puissantes, un voyage dans le Nord, pas celui des chti mais des Vikings, avec un groupe… italien, White Skull et un album très Power Metal dans le style et très particulier dans le fond, Tales from the North, dans lequel la chanteuse (de l’époque) Federica De Boni pousse sa voix rocailleuse (et son accent improbable) sur des tempi plutôt enlevés… à l’exception de ce « The terrible Slaughter » narrant l’histoire d’une Grimhilde/Kriemhild/Gudrun bien vénère qui défonce tout le monde après la mort de son cheum Siegfried.
Et la chanson est puissante et va parfaitement dans ce sens : la douceur de la jeune ingénue se mue en colère puis en rage au fil du morceau, totalement raccord avec l’interprétation de Federica…
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L’horizon étant infini par essence, il était difficile de faire court, vous vous en doutez bien, donc merci d’être resté jusqu’au bout : « la lumière revient déjà et le film est terminé » … À défaut de convaincre ceux qui seraient d’une grande mauvaise foi, les moins psychopathes d’entre vous ne sauront qu’admettre aussi leur fragilité, que vous soyez auteur, compositeur ou simplement auditeur. Pourtant, tous les groupes ne jouent pas ce jeu artistique… par peur de passer pour des baltringues ? Que sais-je… Nonobstant, j’avoue que j’aurais aimé soutenir ce propos avec une ballade de Slayer mais ça n’aura jamais lieu… Dommage…
On aurait pu s’étendre plus loin, parler de « My Immortal » d’Evanescence (Amy Lee, grande voix aussi), « The Idol » sur le Crimson Idol de WASP (que dire de Blackie Lawless si ce n’est vanter sa puissance vocale ?) – intéressant aussi sur la thématique de la solitude/dépression – ou autre, mais à défaut de vous faire remuer la tête, je voulais vous proposer pour une fois de remuer vos tripes, quelques grammes de finesse dans un monde de brutes… Et si vous connaissiez déjà tous ces titres, c’est que vous êtes un true romantique…