Il faut remettre l’église au centre du village…
Drôle d’expression pour débuter une chronique d’album, vous ne trouvez pas ? Je vous rassure de suite, point de prêche dans ma chronique car l’Ecclesia (l’Eglise), dans son étymologie, n’est jamais qu’une assemblée de citoyens dans les villes grecques.
“Remettre l’église au centre du village”, signifie entre autres de rester attaché aux traditions. Mais pourquoi parler de traditions ? Parce que c’est là où A/Oratos veut nous emmener : ramener de la réflexion et de la spiritualité au sein de la société.
Pfiouuuuu quelle entrée en matière ! Et de la matière il y en a. Commençons par les points forts de « Ecclesia Gnostica », premier album après leur EP « Epignosis », autoproduit et sorti en 2019. La gnose est présente partout. Et si « Epignosis » signifie la connaissance précise, nous passons au stade supérieur sur le LP. Les Parisiens se décrivent eux-mêmes comme une « force clandestine émergente de musique mystique ». Du black metal gnostique… Quelque chose me chafouine dans cette phrase.
Passons aux choses plus « chronique-like » :
Je ne pourrai faire l’impasse sur la relation (qui a dit comparaison?) avec le groupe parisien Griffon, dont le chanteur et le bassiste sont partie prenante. Aharon est, par ailleurs, coauteur avec le guitariste Wilhelm, des paroles de «Ecclesia Gnostica». C’est tout naturellement qu’on retrouve des similitudes dans le chant entre les deux groupes. Quand nous avons des titres qui font appel au Grec ancien, comme sur l’album « O Theos, O Basileus », on pourra faire le lien avec « Deuteros » chez A/Oratos, où les chœurs viennent prêter voix forte…. en Grec ! Et peut-être plus particulièrement sur le titre « Apostheosis » de Griffon, où on pourra faire l’analogie avec l’alternance de la voix chantée façon black haineux et la voix parlée… Certaines structures peuvent être semblables sur des passages somme toute assez courts et qui sont la norme dans le black metal. Maintenant, je vais arrêter là les relations, car ce serait assez malheureux de ne s’en tenir qu’à ça. Car au final, les deux groupes sont assez différents. Hey ! N’oublions pas que A/Oratos est né sous la houlette de Wilhelm, le guitariste, qui sera seul compositeur de l’album.
N’ayez donc aucune crainte, car nous n’avons aucunement l’impression d’un Griffon bis. A/Oratos a sa propre patte. Par contre, ce qui me chagrine un peu, c’est cette réflexion qui m’est venue d’entrée de jeu, dès la première écoute et qui ne m’a pas lâchée, même si elle s’est atténuée au fil des écoutes : « Oh ! On dirait du Helioss ! » Et si vous avez suivi les propos de Mémé par ailleurs, vous savez combien elle est fan du travail de Nicolas Muller ! Cette alternance entre le chant saturé et quelques bribes ciblées de lyrics déclamées comme on prêche, le tout en Français, vous ramènera vers un « Devenir le Soleil ». Mais ici, la teneur des paroles, qui sont recherchées et porteuses de réflexion, serait plutôt portée sur la gnose. Les titres parlent pour eux ! Se pencher sur les mots-clés, c’est déjà passer un temps fou à réfléchir, à se placer dans une forme de spiritualité. Et là, c’est bien joué pour les intentions du groupe qui sont de combattre la vacuité et la matérialité extrême de la société en amenant à penser.
C’est ici que se pointe la seconde chose qui me tracasse : je suis foncièrement agnostique. On pourrait me dire de faire abstraction… Ben non ! Les paroles en français, surtout quand elles sont déclamées donc compréhensibles, sont là pour nous rappeler la dimension gnostique. Et puis, quand on sent que les paroles sont ciselées, qu’on y a apporté du soin, la moindre des choses est d’y prêter attention !
Revenons à la musique… Nous avons les codes du black metal, c’est indéniable. Mais pas tout le temps. Dans les breaks, on passe sur des parties moins rentre-dedans, à la saveur plus lente, même si ce n’est pas un changement de tempo.
Globalement, ça joue bien. Très bien, même. Les riffs sont au cordeau, ultra mélodiques, pour compenser un chant version hyène enrhumée très haché… trop haché. Il se dégage un côté martial, jusque dans le tempo, fortement marqué sur les temps forts. La guitare est mise en avant dans le mix, ce qui permet de contrebalancer le chant black qui souvent suit la rythmique de la mélodie pour donner l’impression d’en suivre les notes. La structure des morceaux est assez similaire en ce sens qu’on a souvent un schéma narratif et mélodique qui sera répété à l’envi. C’est raccord avec le côté prêche…
Deux morceaux se dégagent pour ma part, « Deuteros », qui commencera de façon minimaliste sur une guitare « sèche », guitare qui nous montrera l’étendue de son talent sur une version très douce. Petit à petit le morceau va s’étoffer, offrant à la mélodie une version riffée plus black. Derrière, très rapidement, on sent bien des nappes d’un chœur, omniprésent dès 2:20. On alterne les passages calmes et d’autres plutôt d’un black puissant. On est pris dans un tourbillon. C’est d’une beauté ! Le genre de morceau qui fout la capillarité des bras en érection.
L’autre titre serait le dernier, avec cette intro touffue au niveau des samples. Normal, on parle tout de même de l’ouverture du septième et dernier sceau du rouleau de l’Apocalypse (apocalypse qui signifie « révélation »… la boucle est bouclée). Bon OK, le deuxième titre, « Daath », nous reste bien en tête aussi. Le premier, comme le quatrième, auront aussi cet effet « tu vas le chantonner toute la journée ». C’est dû à quoi ? Aux riffs simples dans la rythmique, marqués, travaillés et mélodiques, mais aussi à la répétition narrative.
La production et le mixage sont faits au studio Henosis. Rien que de mentionner le nom, on sait déjà que ce sera de qualité. Pour la dimension visuelle, notamment l’artwork, on reconnaît d’emblée la patte de l’excellent Vincent Fouquet. Il sera raccord avec le doré omniprésent sur l’album. Il n’y a qu’à regarder le grimage des musiciens pour s’en rendre compte. Des tenues blanches, façon toges, avec liseré doré ; un maquillage facial d’or et de noir. L’or, symbole de sainteté et de pureté ; de l’or jusque dans la couleur de la guitare…. Et dans la main de Wilhelm ? Un encensoir dont la fumée symbolise le mystère de dieu… Que de symboles ! Ce qui me frustre, c’est que je suis persuadée qu’une analyse musicale poussée permettrait de voir combien la partition en est jonchée. Mais peut-être que je divague…
Pour résumer, l’album se veut une pièce maîtresse dans l’élévation de nos esprits vers une forme de réflexion. A/Oratos se fait Hiérophante, avec des paroles assez obscures qui laisseront certains sur le bas côté. Eh ouais, va falloir creuser un peu pour mériter le passage au grade supérieur. Musicalement, si le chant est très haché, si la rythmique reste assez martiale dans le marquage des temps (ce qui n’empêche pas des rythmiques à contre-temps ou des passages un peu foufous, hein ), nous avons des riffs et des soli ciselés, des choeurs à filer la chair de poule. Pour autant, une forme de manichéisme vient nous cueillir, avec d’un côté une musique facile d’accès par son côté ultra mélodique et ses riffs entêtants, et de l’autre des paroles et un visuel terriblement symbolisés au point qu’on pourrait les qualifier d’élitistes.
Tracklist :
- Le Hiérophante
- Daath
- Deuteros
- Disciplina Arcani
- Ô Roi des Éons
- De la Gnose Éternelle
- Le septième Sceau
Line up : Wilhelm – Guitare / Aharon – Chants / Léo – Basse / Kampen – Batterie
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