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Sous la direction de Hervé Coutin /  Black metal, une demeure (2023)

  • par
Black metal, une demeure

Black metal, une demeure – Black metal, a home (2023)
Editeur : Bad to the Bone
Français / Anglais, 122 pages.

Note :   90/100 (Seblack)

Voilà un ouvrage collectif qui sort des sentiers battus. Supervisé par Hervé Coutin, fondateur du magazine Bad to the Bone, il aborde le black metal, ce qui n’est déjà pas si courant. Mais plus encore, c’est la manière dont le sujet est abordé et traité qui rend ce joli livre tout noir si singulier.

Ici la parole est donnée à des artistes mais pas forcément à des musiciens ou à des personnes dont la principale activité créatrice serait liée à la « scène black metal » au sens strict du terme. 

Parmi celles et ceux qui ont contribué à cet ouvrage, on va donc trouver des personnes évoluant dans différents univers et souvent plusieurs à la fois : qu’ils s’agissent notamment des arts plastiques ou de la littérature. 

Tous et toutes ont en commun d’avoir été attrapé par le black metal au point que cela puisse nourrir directement ou indirectement leurs pratiques créatrices ou réflexives. Toutes et tous nourrissent avec cette musique un rapport très personnel pour ne pas dire intime. Sous différentes formes (interviews, essai, poème…), les auteurices révèlent le lien particulier qui les unit à cette musique qui est bien davantage que cela d’ailleurs.

Aujourd’hui, c’est peut-être enfoncer une porte ouverte de rappeler que le black metal est bien plus qu’un simple genre musical mais qu’il peut aussi déboucher sur une sorte de philosophie, une manière personnelle d’appréhender son existence dans un monde commun où l’on ne trouve pas sa place. C’est là une des lignes fortes de l’ouvrage que de se tourner vers soi-même et d’interroger ce que cette musique est capable de créer au plus profond de soi et ce à mille lieux des codes et clichés que le black metal véhicule et cultive volontiers. Hervé Coutin énonce cela à mots choisis : « J’ai délaissé le sens commun de ce genre musical dont les poncifs masculinistes, machistes, violents, éructants ont fait place à un vaste panorama calme et paisible dont seul j’avais la jouissance de la vue ».

Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, il y a belle lurette que le black metal n’appartient plus à ceux ou celles qui l’auraient créé, et développé en tant que genre musical à part entière.

Voilà bien longtemps que cette créature indomptable leur a échappé, les a totalement dépassés pour devenir cet hydre artistique protéiforme. Il se trouve toujours bien des personnes pour le regretter et cultiver la nostalgie de « leur » black metal, le « vrai ». Mais c’est bien sur ce point que ce genre est infiniment passionnant : le black metal a une telle capacité à nourrir l’univers sensible d’un individu que chacun pourrait parler de « son » black metal. Dans cette multiplicité des approches, source de débats sans fin, personne n’a tort, personne n’a raison, chacun peut simplement avoir et cultiver «son» black metal et les différents articles de ce livre en sont une expression vivante.

 Alors bien évidemment, moi aussi j’ai « mon » black metal et dans la dizaine de textes que comporte l’ouvrage, tout ne m’a pas parlé avec la même force. Il en est certains dont j’ai bu les paroles comme si les mots que je lisais étaient ceux que j’aurais voulu écrire. Il en est d’autres que j’ai trouvé plus « capillo tractés » ou qui m’ont moins touché. Mais tous présentent cette qualité de développer une réflexion singulière, de mettre des mots sur une expérience qui est souvent de l’ordre de l’intime. Dans les domaines des sciences sociales et de l’histoire qui sont les miens, la démarche rappelle celle de l’égo-histoire. Rien de négatif et de narcissique là-dedans, la démarche se voulant au contraire un exercice délicat guidé par une approche à la fois humble et sensible.

A cette diversité des parcours, s’ajoute des styles d’écriture assez variés : certaines plumes sont très denses, foisonnantes même quand d’autres sont plus fluides, voire poétique, mais toutes parviennent à capter et à maintenir l’attention, ce d’autant que les textes ne sont pas excessivement longs.

Bien sûr on ne peut pas mettre de côté les aspects formels de l’ouvrage qui, disons-le, est un joli volume. Comme déjà évoqué précédemment il est entièrement noir. Sa mise en page français / anglais est très bien pensée avec une alternance de pages sur fond noir ou blanc. Ce choix a été fait de ne pas prendre les mêmes illustrations pour la pagination française ou anglaise ce qui laisse l’agréable impression d’avoir deux livres en un seul. Le livre donnant la parole à nombre de personnes issues des arts plastiques, une grande place est bien évidemment accordée aux illustrations issues de leur travail de création. Une démarche à saluer d’autant plus qu’à l’image de l’ouvrage tout cela sort des poncifs que l’on trouve souvent quand sont évoqués le black metal et ses aspects visuels. 

Incontestablement voilà un bien beau livre tant dans sa forme que dans ses propos. Un livre apaisé, qui prend le parti d’explorer ce rapport profondément personnel et intime qui peut se nouer avec cette musique plutôt que de remuer l’agitation et les gesticulations qui l’entourent. Cela ne plaira peut-être pas à tout le monde. Mais c’est cela aussi le black metal non ?

Artistes : Alexandra Uppman / Alison Flora / Sindre Foss Skancke

Auteurices : Elodie Lesourd / Manon Schaefle / Lou Ellingson / Camille Tallent / Clément Milian / Hervé Coutin

Traductions : Lou Ellingson

Direction Artistique & illustrations : Ivan Dapic

Direction éditoriale et curatoriale ; Hervé Coutin.

Liens :

https://badtothebone.website/shop/

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