Réflexions de WvG
Batman, qu’on le pense, dise, veuille ou non, c’est peu ou prou un membre de la famille Metal. Et quel metalleux serait incapable de fredonner le thème du Batman Series des 90’s composé par Danny Elfman pour le Batman de Tim Burton en 1989 (et repris, pour les moins connaisseurs, par Ultra Vomit sur Panzer Surprise) ?
Si initialement le personnage de type « vigilante » créé par Bob Kane (et Bill Finger) en 1939 était pensé pour être « le plus grand détective du monde » (d’où sa place légitime dans le label d’éditions Detective Comics), un héros malin, avec une rationalité scientifique aussi rigoureuse que celle des Experts, et suffisamment riche pour se doter de gadgets bien pratiques à la résolution de ses enquêtes, l’homme chauve-souris va vite caresser la darkitude dont les metalleux sont plutôt friands du bord de son aile.
On lui crée au fil du temps un background sinistre : oui, il est blindé de thunes, mais c’est l’héritage de ses parents tués dans Crime Alley par… bah, par on ne sait qui vraiment puisque les versions divergent (ce qui est énorme) entre Jack Napier, qui serait la némésis Joker, puis peut-être pas en fait… bref. L’orphelin a donc une raison de vouloir réguler le crime dans Gotham.
Mais son univers peuplé de vilains de plus en plus retors et résistants (et souvent de retour parce que pas tués par le protagoniste, une de ses lignes de conduite) va tourner au sombre au fil du temps, flirtant perpétuellement avec le monde de la psyché du héros anti-héros, de sa place dans la société, de son complexe du messie en contradiction avec son syndrome de l’imposteur. Ce qui va amener le personnage à affronter de plus en plus de monde et de plus en plus d’extrêmes, tout en essayant de surmonter ses conflits intérieurs. Le passage au fil des années du design de comics vers un style plus réaliste allant même jusqu’au roman graphique ne va faire qu’accentuer ce trouble interne avec celui externe : la multiplication de vilains qui deviennent même des super-vilains acquérant des pouvoirs surhumains, quand ce n’est pas méta-humains, avec son intronisation au panthéon de la Justice League. Et où est-ce qu’on envoie tout ce beau monde une fois arrêté ? Dans un asile, bien sûr, celui d’Arkham, référence non dissimulée à Lovecraft, pape du genre horrifique.
Beaucoup d’entre vous à ce stade de la lecture de ce prélude se diront « oui mais bon, des héros metal ou affiliés à l’état d’esprit, y en a des tas : The Crow (James O’Barr), Spawn (Todd McFarlane), Witchblade (Marc Silvestri), The Darkness (Silvestri encore et Garth Ennis, également auteur pour un autre personnage « sympa » de la team DC, John Constantine, le Hellblazer) » avec des charadesign ou des chartes graphiques de plus en plus bourrines et noires, mâtures dira-t-on. D’autres citeront la version Alice ultra sombre de la saga Wonderland de Raven Gregory qui vaut son pesant de ténèbres.
C’est vrai… mais pas au niveau de pérennité ou de descente aux enfers du Chevalier noir. Car c’est depuis la relecture de Frank Miller en 1986, qu’il se voit affublé de ce surnom qui lui va déjà si bien, après presque cinquante années à en prendre plein la tronche pour rendre le monde meilleur. Car oui, on est passé du microcosme Gotham au monde entier puis au multivers depuis Crisis on infinite Earths qui ouvre les portes au gros bordel scénaristique actuel, avec des histoires dans l’Histoire et des arcs narratifs isolés, voire d’un Batman alternatif (dans lequel Ce ne serait plus Bruce Wayne, l’orphelin malgré lui mais son frère Thomas Wayne, le plus pas sympa des grands frères qui a fait buter toute la famille, le petit Bruce inclus).
Cette progression vers le noir va prendre ses marques au début des années 80, donc, et devenir de plus en plus concrète ; pour exemple, le Killing Joke d’Alan Moore, pour rester dans la trame de Batman (parce que Alan Moore, c’est le scénariste qui ne prend pas de pincettes et propose de grandes réflexions sur le sujet du « héros » de comics entre le naïf, le fasciste, le calculateur froid limite psychopathe (tout ça dans Watchmen), le révolutionnaire vengeur (V pour Vendetta), la victime du système qui veut sauver son monde en destruction (Swamp Thing)…) Rien que dans ce tome, on flirte avec la noirceur du doppelganger, le reflet du miroir noir, le double/jumeau maléfique, le yin et le yang de la psychanalyse : on a un vilain qui est censé être l’opposé du chevalier noir, qui tue, viole mutile quand l’autre essaye d’épargner même si ça lui coute de le faire… mais les deux co-existent et aucun n’existerait sans l’autre (et je ne vous spoilerai pas la fin, pour celleux qui ne l’auraient pas encore lu). Ceci mènera d’ailleurs le Batman à aller de plus en plus vers le coté obscur de la farce que lui joue le Joker, dépassant toujours plus les bornes et les limites entre justice et vengeance, interrogatoire et torture, se rapprochant toujours plus de son double maléfique.
« Il est le héros que Gotham mérite. Pas celui dont on a besoin aujourd’hui… Alors nous le pourchasserons. Parce qu’il peut l’endurer. Parce que ce n’est pas un héros. C’est un Gardien silencieux… qui veille et protège sans cesse. C’est le Chevalier Noir. » (The Dark Knight, Christopher Nolan)

Ce titre de « Chevalier noir » est désormais vraiment bien ancré dans les consciences et, arrivé dans la période DC Rebirth en 2011, le label décide même de créer un sous label « Black Label » pour spécifier que les histoires dites plus adultes virent surtout de plus en plus vers l’obscurité, faisant la part belle aux spins off d’un Batmanverse tellement vaste que je ne vais pas vous le détailler ici parce que…
… parce que ce n’est pas le sujet, présentement, et qu’il me faudrait poster sur plusieurs pages (et pas sûr que les rédacs chefs soient opé pour tant de blabla) [NDLR : Si si ! Fais-toi et fais nous plez !]. La tonalité « adulte » (entendre par là « morbide » ou « glauque ») de la ligne éditoriale DC va s’amorcer d’ailleurs assez vite avec l’arc Blackest Night, mais ceci est une autre histoire que je pourrais vous narrer, tout comme je pourrais évoquer le travail de la boite Rocksteady sur la trilogie vidéoludique Batman Arkham (oui, je sais, y en a quatre voire cinq dans la série mais on va dire que les suivants sont des erreurs industrielles qui n’auraient jamais dû exister).
Vous allez me dire que c’est facile de tisser des liens entre le Metal et les comics/BD. Le magazine Métal hurlant créé par Moebius/Druillet/Dionnet dès 1974 (et de nouveau édité depuis 2021) fait référence, même si sans attache particulière, avec le genre musical (jusqu’au film éponyme de 1981). Certains l’ont déjà fait et de manière pas subtile, faisant même intervenir des chanteurs ou groupes dans des séries du moment (pour exemple KISS dans Howard le canard de 1973) allant même jusqu’à avoir leur propre comics (KISS encore, mais aussi Iron Maiden via leur mascotte Eddie, elle-même typée comics dans le charadesign). Les musiciens également vont puiser aussi dans les comics divers et variés comme Les Contes de la Crypte ou The Vault of Horror, voire Judge Dredd (pour « I am the Law » de Anthrax) ou le Punisher, ou encore le Surfeur d’argent (pour Satriani) … Et je ne vous parle même pas des dessinateurs d’artworks de groupes qui ont bossé ou bossent encore comme illustrateurs chez DC, Image, Dark Horse ou Marvel…

Alors pourquoi parler de Batman plus que d’un autre ? On a vu précédemment que son storytelling, pas des plus enjaillants, créait des ponts avec la volonté bre-som du métalleux… Hé ! Je vous apprends rien, hein ! Dark Metal, Black Metal, Doom Metal, Death Metal… pas trop des dérivés qui inspirent licornes et petites fleurs. C’est là que je vous sors ma carte Batman Metal ! Celleux qui ont mis les pieds au Hellfest 2018 n’ont pas pu passer par le market sans apercevoir un stand Urban Comics faisant la promo de cette saga. Les ponts étaient déjà notables entre les deux univers mais là, on a passé un cap puisque la tête de gondole affiche le lien voire la parenté.

Si la trame en elle-même n’a aucun lien direct avec le genre musical (je résume : Batman fait des recherches sur les métaux et ouvre une porte sur un multivers où tout foire pour ses alter égo #abrègefrère), faire estampiller des versions alternatives d’éditions à l’effigie de groupes notoirement connus. On pousse le bouchon encore plus loin, Maurice, avec l’arc Batman Death Metal : les sept couvertures variantes, plus ou moins kitsch mais qui savent où chercher leur lectorat et le diversifier. Même si, encore une fois, la trame ne change pas d’un artwork à l’autre et c’est davantage un coup marketing puisque le pitch est le suivant : le « Batman qui rit » AKA une version alternative du Joker du Multivers règne sur une version infernale d’une terre dévastée et le/notre Batman va devoir botter des culs pour restaurer une version plus vivable. Les publications récentes reviennent davantage aux points communs, suggérant des visées moins mercantiles, avec des romans graphiques aux esthétiques gothique (Batman Noel et Cher Détective, Lee Bermejo) et impressionniste (Arkham Asylum, Grant Morrison) quand on n’entre pas sur des trames encore plus noires comme DC Vampires, DCeased Dark Night ou la série en cours Batman Nocturne (et là, y a un lien avec la musique, pas forcément le Metal mais… enfin bref, je ne vous en dis pas plus, à part que c’est très, très noir…). Quoiqu’il en soit, les auteurs et dessinateurs actuels (Scott Snyder, James Tynion IV, Ram V…) mériteraient de détailler dans un article connexe leur carrière et les univers qu’ils développent, tous autant raccordables aux goûts metalleux généraux.

A défaut de chercher à enfoncer une porte ouverte ou faire une démonstration scientifique que j’aurais raison (dans le cas du sentiment personnel, même partagé, on reste dans la subjectivité), je vous invite à lire ces derniers arcs, encore disponibles à la vente dans vos meilleures librairies locales (et au pire à la FNAC ou sur Internet), sachant que Urban Comics (donc DC en France) a réédité des anciens tomes/arcs narratifs en format pocket « Nomad » (Blackest Night (deux tomes) ou Killing Joke dont je parlais plus haut, mais aussi La cour des Hiboux (deux tomes aussi) et Batman Silence, pour rester dans le topic présent, ou encore mieux le crossover improbable Batman/Ninja Turtles – et j’attends avec impatience la réédition du Batman VS Predator, pour la déconne), la prochaine mouture est à paraître en août 2024.

Donc, profitez de votre été pour redescendre en pression (voire en pressions, celles ingurgitées en fest) et vous détendre, lecture en main, sur la plage dans votre plus beau T-shirt hawaïen et tongs… NAAAAAH, je déconne, rien ne vaut l’ombre et la fraîcheur d’une batcave en ces temps de canicules qui s’emballent !
