Metal et Science-Fiction
Réflexion par WvG
A partager, savourer et débattre
Imaginez un monde dans lequel la population serait abrutie par des programmes télévisés devenus fédérateurs voire fanatisants, dans lequel le langage serait soit simplifié au niveau du babil lexical en opposition avec une langue technocratique qui appellerait un chat un « félidé quadrupède communiquant par le truchement de miaulements », dans lequel vous seriez fliqués par la robotique, la domotique, l’électronique et l’intelligence artificielle (puisque la votre serait devenue inexistante), dans lequel il serait inconvenant de penser différemment de la pensée unique au point où toute forme d’expression « artistique » serait un anathème dissident qu’il faudrait soit faire disparaitre soit détruire (par le feu, par exemple) dont il faudrait éradiquer leurs créateurs soit par la force, soit par la loi, soit par la vindicte publique de nations dans lesquelles on aurait inculqué à vivre dans la perpétuelle peur, du lendemain, de l’autre, de la maladie, de la guerre, du climat que l’on peut essayer de manipuler par la technologie, au point de préférer se réfugier dans une utopie virtuelle pour oublier ce « monde de merde »… Le meilleur des mondes, en somme… Là, vous vous dites : « Maiiiiis tu t’es pas fait chier ! T’as repompé Aldous Huxley, Georges Orwell, Phillip K Dick, Ray Bradbury, Ernest Cline, Jacques Lob/Jean-Marc Rochette, Enki Bilal et tant d’autres… ! » Et pourtant… Ce monde dystopique ne ressemble-t-il pas à celui, magique, de Dans ton cul, version Groland ? Du tout, mais le sujet du jour n’est pas de parler (monologuer) politique avec vous – je vous laisse à votre propre réflexion et convictions – mais de voir comment la Science-Fiction, dont on pourrait dire « anticipation » pour certains auteurs et certaines œuvres avec le recul, a pu influencer le Metal tant dans son évolution que ses thématiques.
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Parce que, oui, n’en déplaise, il n’y a pas que Lovecraft, l’épouvante, l’horreur, le gore qui sont des clés de voute dans le genre metallistique et en font son image voire ses stéréotypes. La SF a ajouté pas mal d’extra balls dans le flipper qu’est ce style musical et qui vont s’entrechoquer avant de faire tilter la machine. Le sujet du jour ne sera pas de déterminer qui de la poule ou de l’œuf est le premier ; je pourrais aborder le lien entre cinéma de SF et Metal – et là, vous m’auriez dit : « Maiiiiis tu t’es pas fait chier ! T’as repompé sur Matrix, Equilibrium, Contagion, Cube, EXistenZ, Idiocracy, Future Crimes, Strange Days et tant d’autres… ! » – avec le film Heavy Metal et ça serait faire un gros raccourci frôlant le hors sujet puisque c’est l’adaptation animée de nouvelles en bande dessinée tirées de la version US du magazine Métal Hurlant (traduction donc non littérale) sur laquelle il a semblé de bon ton de mettre des morceaux de groupes de Hard Rock et… Heavy Metal… Néanmoins, c’est un sujet sur lequel je reviendrai dans quelques temps.
Mais quitte à faire une jonction avec cet excellent trimestriel – qui est de nouveau édité depuis deux ans, avec des vieux de la vieille mais aussi des nouveaux auteurs et dessinateurs et que je vous invite vivement à vous procurer régulièrement –, j’ai lu dans le hors-série sur Lovecraft un article affirmant que la cosmologie de l’auteur de Providence avait éventuellement influencé les théories d’Einstein, qui vont influencer celles d’Oppenheimer, puis celles de l’ordinateur quantique, puis celles de l’intelligence artificielle… On en revient à qui de la poule ou de l’œuf, en mettant à plat le sujet, en miroir de la société – et sans être à la coke. Et si ce n’était pas l’évolution technologique qui nous avait menée à ce monde actuel mais les idées « délirantes » des artistes/créatifs qui avaient inspiré les chercheurs en technologie ? Verne paraissait si délirant en son temps avec son idée d’envoyer un engin sur la lune ? Wells paraissait si déconnant en réfléchissant à la possibilité de distordre le temps pour y voyager ?
« On est dans une merde noire mais on va tout faire pour que vous passiez une bonne journée sur Memento Mori Webzine », pour paraphraser Pierre-Emmanuel Barré. Bref, passons à ce petit tour de multivers et réalités parallèles que vous attendez, en lien avec le genre musical que vous affectionnez.
* ouverture du vortex dans 5… 4… 3… 2… 1… *
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Entrons directement et de pleine podo-prothèse mécanique pour corps augmenté dans le sujet de l’esthétique futuriste avec le groupe qui tombe comme une évidence : Fear Factory.
La thématique des dystopies est régulièrement abordée par le groupe à la direction artistique de Dino Cazares. Le Californien a marqué l’histoire du Metal avec une esthétique sans pareille, souvent imitée et rarement (jamais ?) égalée, annoncée dès les artworks cyborgisants. Les références omniprésentes à la SF ne se trouvent pas que dans l’esthétique visuelle : le son, froid et électronique, métronomique… machinal y est pour beaucoup, avec des inserts de samples tirés de Terminator par exemple, ou des références à la bande originale de films de science-fiction.
Mais on trouve également des références aux œuvres littéraires (adaptées ou non au cinéma) dans les titres ou les paroles des chansons, particulièrement l’univers de Phillip K Dick, Genexus étant en lien direct avec la nouvelle Do Androids dream of electric Sheep?, adaptée au cinéma sous le nom de Blade Runner, et dans lequel le groupe va jusqu’à puiser la citation ultime, LE monologue métaphysique et existentiel du film pour conclure leur album sur une longue plage contemplative et pessimiste sur les mots prononcés par Rutger Hauer « J’ai vu des choses que vous, humains, ne pourriez croire… […] Tous ces moments se perdront dans le temps… comme… les larmes dans la pluie… Il est temps de mourir. »
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Mais revenons sur les évolutions dues à la technologie et allons sur un groupe phare qui s’est appuyé sur celles-ci : Iron Maiden.
Si le groupe adepte de la narration dans ses chansons avait déjà abordé le sujet de la SF dès The Number of the Beast avec son morceau « The Prisoner » qui fait référence à la série éponyme des 60’s dans laquelle Patrick McGoohan est Numéro 6 dans un « Village » dystopique, le groupe n’aura que survolé le sujet. Ceci sera corrigé en profondeur avec Somewhere in Time par la suite.
Si l’artwork de Derek Riggs annonce clairement une esthétique futuriste (et moults références à ses précédents travaux pour les jaquettes des albums du groupe… amusez-vous à les chercher autant que pour trouver toutes les références à la pop-culture dans Ready Player One) avec son Eddie cybernétique et une pléiade de références science-fictionnelles, c’est surtout une évolution dans le son du groupe avec l’intégration de synthétiseurs – par système MIDI relié aux guitares – dans leurs compositions et ce dès l’ouverture de l’album avec le morceau « Caught somewhere in Time ».
Ce virage progressif vers… le Prog du futur concept album mystique Seventh Son of a seventh Son (inspiré lui-même d’un roman de… fantasy – déso, pas de SF cette fois – d’Orson Scott Card est déjà notable dans ce changement singulier d’instrumentarium mais aussi dans des « Stranger in a strange Land » et ses changements d’ambiance vers des plages planantes, ce qui n’est pas novateur pour Maiden et le côté Père Castor de sa construction de morceaux mais annonce sa proche évolution, avec les synthétiseurs. Quant aux thématiques de l’album, inspirées de SF également au point que les photo shootings des membres présents dans le livret prennent placent dans un décor désertique sur des véhicules futuristes qui auraient pu servir dans le film Blade Runner, on y retrouve pêle-mêle les sujets des futurs possibles, du déjà-vu, la réflexion sur la solitude (dans un monde plus ou moins dystopique si ce n’est irréel) avec des références nombreuses à Welles, Orwell, Bradbury (dont les noms apparaissent d’ailleurs cachés dans l’artwork) pour n’en citer que quelques-uns.
Ce n’est pas la seule occasion qu’aura le groupe de se frotter au thème science-fiction puisque le sujet sera abordé également dans Virtual XI et Brave New World, pas autant en profondeur cependant.
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Pour rester dans le « Iron », passons à Iron Savior. Le groupe de Piet Sielck et un autre grand narrateur dans le Metal, à savoir Kaï Hansen (dont nous parlerons plus bas), tous deux ex-Helloween. Quel intérêt, me direz-vous, de préciser leur cursus ? Mais parce que ça s’en ressent d’autant plus dans l’esthétique sonore (Speed Melodic AKA Power Metal) que dans la volonté de conter une histoire, celle du Iron Savior, vaisseau spatial doué de conscience qui serait issu de l’Atlantide… Quand on ajoute à ce duo un transfuge de Blind Guardian, groupe allemand également spécialisé dans la narration (d’abord de la mythologie de Tolkien, puis de sujets littéraires divers et variés puisés chez Stephen King ou Franck Herbert), autant dire que le but n’est pas de faire une suite de singles sans lien cohérent…
Si le groupe s’est un peu perdu depuis sa création dans des méandres de hors sujet initial, l’album fondateur, auquel s’ensuivra un Unification de belle facture, est aussi le plus marquant du groupe :
Si le graphisme franchement kitschos de l’artwork a nettement évolué vers quelque chose de plus quali désormais (car, oui, le groupe existe/vivote encore officiellement, ayant sorti un album, Skycrest, il y a quatre ans), l’idée metal voire heavy metal est nettement audible musicalement.
Et si vous avez l’impression d’entendre du Helloween, du Blind Guardian voire de la NWOBHM, rien d’étonnant quand le cocréateur du projet en a été le producteur.
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Alors… Kaï Hansen, voir plus haut, c’est une entité du Metal deutsche Qualität… le « lutin facétieux » du Metal, autodidacte, pote avec un peu tout le monde eu égard au nombre de projets auquel il a pris part, de par sa singularité vocale et son affabilité… Mais là n’est pas le sujet puisqu’on va surtout s’attarder sur la production de l’ex-Helloween (qui a quand même pondu l’album Keepers of the Seven Keys, album mythique dudit groupe, tant à la compo que dans l’interprétation post-Michael Kiske) au sein de SON groupe (en combinaison par la suite avec un autre copain de groupes, comme Iron Savior ou Helloween, Dan Zimmerman à la batterie) : Gamma Ray.
Autant dire que là, dans sa discographie, il y a une constellation de références SF, principalement spatiale.
Il est difficile de faire un tri concret dans les albums, aussi je vous recommande le Best of qu’est Blast from the Past qui expose déjà la quantité de morceaux autour de cette thématique : « Beyond the black Hole », « Anywhere in the Galaxy », « Somewhere out in Space ». Même « Rebellion in Dreamland » du concept album Land of the Free ou « Heading for Tomorrow » de l’album éponyme pourraient être une traduction de libération d’un monde dystopique, mais là, je suis trop dans l’interprétation, restons dans le domaine spatial…
Des morceaux nerveux avec la balle de double pédale balancée à la vitesse de la lumière, c’est un peu la spécialité du groupe de Kaï. Si les artworks où l’on retrouve la mascotte squelettique (à l’image de l’iconographique maidenienne) varient en fonction des albums, reste en commun l’arrière-plan mystico-futuriste ou scientifique depuis Insanity and Genius et sa représentation d’un atome yin-Yang.
Allez, un petit dernier pour votre route vers les fins fonds de la galaxie :
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La Science-fiction se base certes sur l’humain, sa place dans la société voire l’univers, mais surtout sur les Sciences : Physique, Astrophysique, et Mathématiques. Pour ces dernières, quoi de plus évident que le Prog ? Je revisionnais dernièrement un épisode de Fringe dans lequel un enfant accidenté avait vu des zones de son cerveau se libérer des (pseudo)10% utilisés par le commun des mortels pour penser une équation de physique quantique sous forme de transcription musicale de ladite équation… ce qui dans le fond n’est pas si incohérent : la Musique, ce SONT des Maths… Si Tool nous a habitués à jouer sur la rythmique et ses liens aux Maths, entre autres la suite de Fibonacci (« Lateralus », la chanson et l’album tout court) ou le nombre d’or, c’est cependant sur un autre groupe de Prog, plus accessible certes mais plus narratif, qu’on va s’attarder : Dream Theater avec l’album The Astonishing.
On connait Dream Theater pour son Prog qualitatif, considéré comme trop mainstream par certains particulièrement après Octavarium qui emprunte pas mal sur Muse donc trop pop-rock pour les TRVE. Avec cet album, le groupe, capable de pondre des morceaux aux métriques mouvantes – et des fois imbitables – sur des plages de vingt minutes, démontre qu’il ne cherche pas qu’à faire de la performance technique mais réussit à rendre cohérent un album de l’alpha à l’oméga avec ce space opéra, conçu comme tel avec une trame, une histoire, des intervenants extérieurs, des leitmotivs, etc.
On entre dans une dystopie située aux States en 2285, sous un régime dictatorial dans lequel la musique est créée et régulée par des « nomacs », machines qui produisent une musique électronique ayant pour but d’annihiler tout affetti. Mais dans cette société neurasthénique, le personnage principal possède le don de chanter et émouvoir avec sa musique, et qui risque de devenir le grain de sable dans la machine politique qui a la mainmise sur sa population en la privant de toute sensation. Oui, c’est aussi philosophique, nietzschéen et bergsonien… L’album affirme cet aspect dès sa courte introduction, accroche totalement synthétique et morne, close par un dernier signal aussi dérangeant qu’une corne de brume d’un tripode dans la Guerre des Mondes, et enchaîne sur la vraie ouverture, celle qui expose les thèmes de l’album, avec des choix singuliers d’instrumentation (piano plus présent que sur les précédentes œuvres du groupe, chœurs synthétiques en opposition avec de vrais aux teintes gospel, orchestre symphonique, synthétique également mais assez proches du timbre d’un vrai aux moments opportuns, etc.)
C’est ce pari réussi – qu’il faut tenir aussi en temps qu’auditeur, parce que même si les morceaux sont nettement plus courts que d’usage, c’est quand même un double album – en fait à la fis une particularité dans leur discographie mais un OVNI dans le monde prog.
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S’il y en a un qui pourrait être défini comme le savant fou, un modèle type d’abordage de la Science-fiction mais sous apparence la plus grotesque, tout en ne sachant pas s’il faut le prendre au premier ou au ixième degré, c’est Devin Townsend.
Alors oui, on pourrait commencer à parler directement de Ziltoid the Omniscient, le Mars attacks! musical complètement kitsch du monsieur un peu fêlé du casque qui propose un concept album certes sur un extraterrestre… mais qui veut défoncer la Terre pour acquérir son or noir : le café ! Dark Matters, la suite, un brin plus sérieuse, s’insère néanmoins dans cette logique de SF, aussi dans la dérision que puisse la placer le génial mais barré compositeur multi-instrumentiste. Mais c’est plutôt sur ses multiples side projects issus des multiples facettes de ce schizophrène TDAH que mon choix se porte, à commencer par Biomech sous l’avatar d’Ocean Machine :
Du Prog en veux-tu, du Prog en voilà. Et de grandes réflexions sur la métaphysique et le lien homme-machine…
Et ce n’est pas le plus barré des albums du Canadien… Si l’on omet les récents Devin Townsend Project, accrochez-vous sur Physicist :
Ce qui est notable particulièrement, c’est l’évolution du Metal avec le temps vers un son hyper saturé et synthétique : difficile de se dire qu’on est passé du timbre d’un instrument à cordes, acoustique, à un tel niveau de saturation, désormais traité numériquement. Ce qui m’amène au prochain groupe.
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Obscura, le groupe du teuton Steffen Kummerer (et un nombre considérable d’accompagnateurs dans le quatuor, avec un sens de la longévité assez restreint), comme nombre de groupe évoluant dans le Death technique, aborde la thématique de la Science-fiction… C’est le cas dès leur deuxième album Cosmogenesis, partant davantage dans la Science que la Fiction, certes, mais rejoint ensuite par Omnivium.
Peut-on considérer la philosophie comme une sorte de voyage intérieur où la Science et la Fiction se rejoindraient ? Possiblement, et nombre de scientifiques ont abordé le sujet via des biais scientifiques, ce qui n’en donne qu’une réflexion plus intéressante et aboutie. Toujours est-il que c’est par cette vie que Kummerer a abordé Omnivium, s’inspirant Du lien de la nature au monde des esprits » de Schelling pour le transvaser à l’échelle de l’univers, mêlant physique, astrophysique, mathématiques et Science-fiction.
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Pour finir ce petit voyage intersidéral dans la Science-fiction, quoi de mieux que de parler de « cyber Metal ». Je ne prendrais qu’un exemple parmi tant d’autres présents dans ce multivers électro Metal : The Browning.
Le groupe de Jonny McBee étant très influencé par Fear Factory, aucun étonnement de constater qu’il suit ses pas, tout en s’en détachant cependant pour aller piocher dans plein de domaines variés de la Science-fiction. La cybernétique, évidemment, qui est son moteur – électrique – prend la part belle des thématiques du combo/projet solo du Missouri mais s’y confrontent celles de la vie extra-terrestre, le « geist » (ou âme/esprit dans le concept post-mortem, qui sert de titre à leur album de 2018) et l’interstellaire.
Musicalement, on est éminemment dans un son fait par la machine, sur des rythmiques inhumaines, avec des beatdowns improbables de perfection, une voix et des guitares aux effets sursaturés numériquement, des sons électroniques servant tantôt de nappes tantôt de lead, et une fusion de styles musicaux allant même piocher dans la Hardtek…
Quoi de mieux donc, pour terminer et achever cette vision pas trop emplie de gentils E.T. que de poser l’album End of Existence, histoire de nettoyer une fois pour toutes espérances en un futur radieux…
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Le gimmick introductif de la série The Outer Limits est le suivant : « Ce n’est pas une défaillance de votre téléviseur. N’essayez donc pas de régler l’image. Nous maîtrisons, à présent, toute retransmission. Nous contrôlons les horizontales et les verticales. Nous pouvons vous noyer sous un millier de chaînes ou dilater une simple image jusqu’à lui donner la clarté du cristal, et même au-delà… Nous pouvons modeler votre vision et lui fournir tout ce que votre imagination peut concevoir. [Pendant l’heure qui vient,] nous contrôlerons tout ce que vous allez voir et entendre. Nous partagerons les angoisses et les mystères qui gisent dans les plus profonds abysses… au-delà du réel. » Tel a été mon objectif durant ce voyage vers l’infini et au-delà dans le cadre du Metal. En espérant que votre trajet a été des plus mouvementés, PNC au portes et bonne journée…
DaH jImej…