Notre mère qui êtes sur terre, que ta bête soit sanctifiée.
Que ta volonté de faire prendre conscience de l’abrutissement de nombreux humanoïdes, dont le nombre est toujours exponentiellement croissant, soit faite. Et pour cela, tu as fait appel à la Bête.
Donne lui aujourd’hui son pain quotidien, ces Humains qu’elle aime dévorer, en commençant par l’innocence et les peurs infantiles ( album « Boogeyman » ) et poursuivant sur la “crétidiotie” congénitale de l’espèce ( album « Parthénogénèse »). Pardonneras-tu nos offenses ?
Notre mère qui êtes sur terre, ta bête agit en miroir de notre histoire. Elle se repaît des autres, sans se soucier du bien ou du mal qu’elle peut causer autour d’elle. La suite logique est donc bien « allez et pullulez ! » Ta bête n’a besoin de rien d’autre qu’elle-même pour se démultiplier comme des petits pains. C’est la parthénogenèse. Tout ce qu’elle vise, c’est l’ascenseur social, celui qui la propulsera au sommet de la hiérarchie. Laquelle ? La plus importante, celle qui gouverne toutes les formes de vies : la chaîne alimentaire. Ça ne vous rappelle rien ?
Notre mère la terre, tu as deux apôtres pour délivrer ton message : Gévaudan (l’autre Bête) et El Pradosaure (la créature) sont tes hérauts. Ils usent d’un black metal génération alpha mais sur des bases de la génération X, celle avec laquelle tout a débuté, celle des Mayhem, Darkthrone, Impaled Nazarene et cie. Bref, un black metal incisif, implacable, tempétueux, mauvais comme les vents de Verlaine. Mais on n’a pas envie de dire au revoir, on n’est pas là pour annoncer qu’on s’en va. On reste dans ce marasme de riffs pénétrants comme une fraise sur une molaire. Et on va s’en prendre plein la tête au tout long de l’album « Parthénogénèse ». C’est souvent le pied au plancher, qu’on se fait aborder par la Bête et ses acolytes. Riffs puissants et rapides, chants criés doublés. On y entend la version de la bête qui parle par l’entremise de Simon, alias Gévaudan, et parfois Adèle ( du groupe Houle) et Stéphane.
C’est une histoire que nous narre Anthropovore, une histoire commencée en 2020 dès le tout premier opus « Rip and Tear », celle de la Bête qui utilise sa voracité de l’humanité comme ascenseur social et se hisser en haut de la chaîne alimentaire. Bon, OK, ça, je l’ai déjà dit. Mais si je me répète ici, c’est pour expliquer pourquoi chaque morceau a sa propre identité, son atmosphère. Car oui, nous sommes bien sur une base de black metal, avec ses codes comme le tremolo picking. Malgré cela on se sent parfois un peu perdu car d’autres influences viennent s’y mêler. Du death… car le duo de base – Anthropovore est initié par Simon et Stéphane qui en a l’étincelle de la genèse en 2019 – se retrouve également dans Muertissima, qui hisse le death comme oriflamme.
Mais quand on commence à se dire qu’on aimerait un petit changement de tempo, c’est là où les grands esprits se rencontrent, puisque le ralentissement est au rendez-vous. Et on n’est pas loin de titiller le doom, comme sur « Ternir », qui commence vite et fort, pour ralentir sur un break douloureux, vers 1:00. Est-ce que ça reprend après ? Oui, un peu mais tout en restant sur de la lourdeur pachydermique. C’est boueux à souhait jusqu’à nous amener à ce petit chœur tout doux, une minute plus tard. Alors oui, ça reprend comme ça a commencé. D’ailleurs dans l’introduction, tendez l’oreille sur la guitare, c’est simplement magique.
Dans d’autres pistes, ce sont des sons électros, du genre qui vous vrillent le crâne, mais pour mieux faire ressortir le malaise du moment, qui vont vous happer.
Et par-dessus tout cela, nous avons ces textes compréhensibles, cette « mauvaise » parole (mais ô combien belle et porteuse d’une vérité que l’on n’a pas toujours envie d’entendre) chantée la plupart du temps en français. Mais en sus, on la retrouve également slamée. Le slam, cette façon unique de déclamer un texte… Dès le « Notre père » du titre éponyme, on est plongé dedans. Pour ceux qui ne connaissent que peu le slam, ils penseront d’emblée à Grand Corps Malade. Moi, je vous parlerais plutôt de Pilot le Hot, et de sa somptueuse Libellule. Une espèce de punk poétique. Sauf qu’ici, on entre dans une dimension « punk » de par son esprit foutraque (mais le black n’est-il pas un tantinet issu du mouvement punk ?!), et très metal par son aspect granuleux, lacérant et saturé dans le son comme dans les émotions. Ces textes ne sont pas bêtes et méchants… Loin de là. Disons plutôt qu’on parle de la bête et qu’ils sont méchants de cynisme et de froideur dans le regard porté sur nos sociétés. Ô combien ce texte me parle. Une fois la musique lancée sur le dernier mot prononcé, il n’y aura pas de pitié. Vous serez mis à pied d’emblée et vous ne pourrez plus lâcher l’affaire. Une déferlante d’émotions vous passera dessus comme un rouleau compresseur… avant de passer par la lame du hachoir des riffs et des chants (dans l’île aux enfants, c’est tous les jours le printemps… ah zut ! Je me suis laissée emporter par le lyrisme ambiant). Vous finirez en tartare bien juteux et sanguinolent. Parce que ce premier titre est une pure merveille. Pour moi, il est juste parfait, entre ce texte parlé, le chant craché au visage, l’instrumentation qui fuse dès le départ. Tout est dosé et… Gros point positif que l’on retrouve sur d’autres pistes : dans l’ironie et le cynisme, il y a ce pas de côté qui nous amène à mourir de rire… jaune.
J’en veux pour preuve ce break dans « Mal dedans », vers 2 :00, qui sort d’on ne sait où. Et, au passage, si vous aviez des doutes sur la technicité du groupe, ils vous offrent un petit passage aérien, tout en poésie, nous proposant des coups de latte dans la gueule sur un air jazzy des plus appropriés. Ensuite ? Ensuite, le titre tient bien son nom. Entre la phrase répétée à l’envi, façon méthode Coué, « tu as mal dedans », les riffs qui se font légèrement dissonants, et les ritournelles, tant musicales que rythmiques qui tournent et tournent jusqu’à te mettre mal à l’aise, jusqu’à ce qu’une migraine ne vienne pointer le bout de son nez. C’est étourdissant.
J’en veux pour preuve ce titre lâché en preview, « Mangez-moi », véritable cover du morceau de Billy Ze Kick. A cette différence que la sauce est moins planante, moins ensoleillée, moins sautillante… on y retrouve ce côté sludge (qui sied à la dégustation des champignons) vers 1:10 ou encore sur la fin de la piste. Je vais vous raconter une petite histoire, tiens ! Mon petit doigt m’a dit que certaines paroles ont été édulcorées pour ne pas choquer la populace qui aurait pu mal interpréter. Un bad buzz ? Oh, cela ne faisait pas peur à Gévaudan qui aurait bien pris une petite tranche de provoc en guise de pub. Mais… ils n’ont pas besoin de ça, pour se démarquer ! Ils ont un monde à eux, de la technicité, de l’originalité, le cynisme, et un véritable objet auditif non identifié. « Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi, c’est le chant des Humains qui supplient, qui préfèrent se faire bouffer que de se faire torturer à petit feu ». Ça ne vous fait pas mourir de rire, ça ? Moi, si !
« Souffrir » renoue avec ce black metal moderne, mélangeant les voix, aiguë et plus grave. On se laisse embarquer par cette nuisance extrême. Alors que « Déconstruit » me laisse un peu plus de marbre, pour la simple raison que le chant se fait un tantinet répétitif sur ses fins de phrases. Néanmoins le chœur sur la fin qui accompagne le « Je ne veux que baiser » est un contrepoids de poids à la rage exposée.
On termine sur un superbe « Better Off Alive », l’un des deux titres qui ne soit pas en français. D’ailleurs, pourquoi de l’anglais et de l’espagnol (« Castigo ») ? Revenons sur le morceau, qui clôt cet opus en retrouvant des codes d’un black mélodique. De quoi faire redescendre la pression – un retour au calme, comme on dit dans le milieu de l’animation – par une forme de berceuse… Ben oui ! Après une bonne partie de parthénogénèse, c’est normal qu’il y ait un baby boom de petits monstres affamés d’Humains. Parlant d’animation, cette fois celui du 7ème art, je rêverais d’un ciné concert avec en projection un anime de Macchabées Artworks qui a signé toutes les pochettes d’Anthropovore, donnant visuellement vie à la Bête.
Tout au long de l’album, nous avons des parties de chants assez variées, entre le crié, un growl grave filtré ou saturé et le chant plus aigu d’Adèle. Le tout transpire la folie, la peur, la violence. Un régal. Quant aux parties instrumentales, elles foisonnent de plans qui dissonent ou encore se mettent en retrait pour chantonner une mélodie sophistiquée, des riffs qui tournent à l’envi. C’est foisonnant de détails et mérite plus d’une écoute.
Pour terminer, le mix est réalisé par Gévaudan et le mastering par Edgar Chevallier. Ils nous proposent une production claire qui tabasse. Il est à noter que l’album physique est accompagné d’un album concept « F(a)I(m)N », qui aborde le thème de la surconsommation excessive des ressources par une espèce qui finira par s’éteindre. Le titre de 32 minutes mérite une chronique à lui seul.
Notre mère qui êtes sur terre, je n’ai qu’une prière…
…celle de t’envoyer en l’air dans une parthénogénèse,
pour que la Bête puisse nous nuire une fois encore.
Pour que la Bête puisse nous dévorer sans le moindre remord.
Amen
Tracklist :
- Notre père
- Transmigre-moi
- Castigo
- Parthénogénèse
- Souffrir
- Mal dedans
- Ternir
- Déconstruit
- Mangez-moi
- Better Off Alive
Line – up : Simon Perrin « Gévaudan » – Chants (et lyrics), Guitares rythmique et lead, Basse, Programmation de la batterie, Claviers / Stéphane Prados « El Pradosaure » – Guitare lead, Cris étranges (dit le press kit)
Guests : Adèle Grammatico « Adsagsona » – Chants (et lyrics) / et la Bête… sur toutes les pistes, puisqu’elle a pris possession des Humains sus cités
Liens :
https://www.facebook.com/anthropovore