« Cloître » est le troisième album du groupe québécois Givre. Ce troisième effort sort sur le label Eisenwald qui avait déjà publié le second, « Le destin messianique », et réédité le premier, « Le pressoir mystique ». A la lecture des titres de ces trois albums ressort l’une des particularités de cette formation pas comme les autres, qui s’empare et noircit sans vergogne différentes thématiques de la religion catholique. Pour autant, n’allez pas imaginer le moindre instant que Givre serait un groupe religieux. Non, mille fois non. Le groupe s’inscrit plutôt dans une démarche documentaire et historique. Il s’intéresse particulièrement aux aspects les plus sombres et austères du catholicisme : le dolorisme, l’expiation par la souffrance ou le mysticisme. La démarche est assez originale mais elle est bougrement intéressante et invitera l’auditeur un minimum curieux à aller à son tour se renseigner sur les faits ou personnages abordés par le groupe dans chacun de ses titres.
Pour « Le cloître », un certain nombre d’évolutions ont été mises en œuvre tout en restant dans la continuité de ce que Givre a proposé jusque-là.
Thématiquement, « Le Cloître » voit un resserrement autour du catholicisme. A ce titre les références à l’histoire du Québec ou les références à la littérature s’estompent. Cette fois, Givre centre son attention sur six figures féminines catholiques. Toutes ou presque sont des saintes ou considérées comme telles. Toutes ont également été habitées par une foi intense, extrême même. Visions, stigmates, énédie, leur existence est un mélange d’expériences religieuses extatiques ou douloureuses. Elles sont de diverses époques : de Sainte Hildegarde Von Bingen pour la plus ancienne à Marthe Robin pour la plus contemporaine. Tous les textes utilisés par le groupe sont de leurs mains ou de celles d’hagiographes mettant en avant leur foi prodigieuse.
Musicalement, on observe également une sorte de resserrement et de plus grande cohérence dans les compositions proposées ici. Les progrès en termes de son avaient déjà été importants entre les deux premiers opus. Pour « Le cloître », Givre franchit de nouveau un pas considérable : l’album sonne mieux que jamais, offrant à l’auditeur un panel de sonorités contrastées : sombres et lumineuses à la fois et dans lequel tous les instruments sont mis en valeur et au service du propos. Coutumier de l’usage d’archives sonores ou de divers arrangements, le groupe utilisait jusqu’à maintenant ces éléments en les plaçant plutôt à côté de la musique. Dans « Le cloître » le groupe a réalisé un travail plus approfondi encore, les incorporant davantage au cœur de l’instrumentation. On retrouve ainsi des extraits du film « Le dialogue des Carmélites » (1960) ou d’une pièce de théâtre de Hildegard Von Bingen dans le morceau qui lui est consacré. Le résultat de tout ce travail est net et sans appel : « Le Cloître » est l’album le plus cohérent et le plus abouti du groupe à ce jour. Il plonge dans un univers qui, selon la vie des figures abordées, va être tantôt sombre et douloureux ou à l’inverse davantage baigné par la plénitude.
Chaque titre possède ainsi une coloration liée à la biographie de la personne évoquée. Prenons par exemple le second titre consacrée à Louise du Néant. Cette jeune noble, née en 1639 fut plongée dans une crise mystique confinant à une folie telle qu’elle fût enfermée à la Salpêtrière. Les textes utilisés sont probablement ceux que Louise de Bellère du Tronchay a écrit à ses confesseurs livrant un témoignage rare sur les conditions de vie à la Salpêtrière au XVIIe siècle où elle fut internée puis soignante. C’est cette existence pleine de contrastes que la musique retranscrit parfaitement au travers d’une musique qui commence dans une ambiance de folie furieuse avec des cris et des stridences. S’en suivent des passages qui ploient sous une noirceur et une lourdeur écrasante quand d’autres inclineront davantage vers des moments de grâce. Cette démarche de biographie mise en musique, Givre la déploie avec autant de réussite au travers des six compositions proposées dans « Le cloître ».
Avec ce que l’on pourrait presque qualifier de concept album, Givre parvient une nouvelle fois à proposer un album passionnant par sa démarche aussi bien que par sa musique. Pour les moins curieux la musique se suffira à elle-même mais pour les autres elle constituera aussi l’occasion de se confronter à l’histoire de ces figures féminines catholiques. Progressant à chaque sortie, le groupe québécois s’affirme véritablement comme une des formations les plus intéressantes d’une scène qui ne l’est pas moins.
Tracklist :
1. Marthe Robin (1902-1981) (09:55)
2. Louise du Néant (1639-1694) (06:52)
3. Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) (05:04)
4. Marie des Vallées (1590-1656) (05:54)
5. Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) (05:36)
6. Sainte Marguerite de Cortone (1247-1297) (08:11)
Line-up : Mathieu Garon – Basse, chant / Jean-Lou David – Batterie, chant / David Caron-Proulx – Guitare, chant.
Guest(s) : Gaël Poisson-Lemay – Guitare sur «Marthe Robin »
Liens :
https://givremetal.bandcamp.com/album/le-clo-tre
https://www.deezer.com/en/artist/104545312