Puisque l’Art est devenu un produit de consommation, j’en suis venu à la question suivante : y a-t-il une DLUO, une DLC… voire une date de péremption ? Une réflexion d’ensemble qui m’est venue ces derniers jours en étant obligé d’encoder des CDs parce que… bah parce que pas le choix, en fait…
« Haaaan mais naaaan t’abuses, c’est pas vrai, c’est pas de la consommatioooon… » Bien, bien, bien… attaquons dans le vif du sujet. Au-delà des grandes réflexions philosophiques sur la subjectivité de l’art, du beau VS l’esthétique et autre sujet qui pourrait éventuellement tomber au bac, je vais commencer liminairement par la définition de ma prime affirmation : l’art est un produit de consommation, du moins le serait devenu. Nombre de personnes se revendiquent « artistes », ce à quoi je réponds (au même titre qu’on m’a déjà affublé de ce qualificatif) « non, je suis/tu es soit un artisan, soit un pratiquant d’un art ». Déjà par modestie ou humilité, si l’on considère que l’Art, ou du moins LES ARTS sont quelque chose qui t’élève et non qui fait que les autres t’élèvent, voire t’érigent sur un piédestal. Ensuite parce que c’est un peu comme la notion du Bonheur, avec un grand B comme… bref… Comment savoir qu’on a atteint le bonheur, tout comme comment savoir qu’on est artiste ? « Tu sais créer ? Super… donc ton truc est tout nouveau tout beau jamais vu jamais entendu ? » Bah… non, déjà tu es bercé d’influences diverses et variées, de par ta culture (ou ton accès à celle-ci, et plus elle est diversifiée et tu es rusé, plus tu peux dissimuler ces références… sauf si tu cherches à ce que ça se voit). Et puis, pour ne parler que Musique, « y a 12 demi-tons, après quelques millénaires, on risque de tourner en rond » … ou de redonder… ou de faire du remake… ou… Non, en fait, tu crées soit du « contenu » pour citer la génération RS/Youtube, soit tu repompes et adaptes… Pour ne parler que Musique, Euterpe ne se sent pas vénérée et adulée quand tu fais une reprise de « Zombie » ou que tu arranges « Le papa Pingouin » à la sauce deathcore… D’ailleurs… pourquoi ou pour quoi tu le fais ? Ne le fais pas… vraiment…
Arrivé à ce point (que j’ai tenté de ne pas étendre sur douze pages ou je ne sais combien de caractères), et après avoir déjà vexé une partie des lecteurs qui se considèrent comme « artistes », les autres, ceux qui ont du recul ou ne sont pas « choquééééés » par mes propos de « okééé, boomer », vous pouvez rester et disserter avec moi ; venons-en au fond de ma question : la péremption et sa date limite… et est-ce qu’on peut considérer qu’il y en a une.
Évidemment, on va parler metal, un peu plus tard – c’est un peu le topic général de Memento Mori Webzine – mais pour faire des similitudes entre arts, allons vers un autre qui me parle : le cinéma. Quel réalisateur/metteur en scène/scénariste voire acteur ne fait pas de copier-coller de ses actes passés ? On nous parle par exemple ces derniers temps de « super hero fatigue » … bah, oui, mon gars : à la longue, c’est un peu toujours la même formule ! Là, je prends un exemple de grande consommation, puisque c’est l’objectif commercial tellement peu dissimulé, mais prenons d’autres membres de ce milieu. Un Besson ne ressemble-t-il pas à un autre Besson (un taxi, une baston d’arts martiaux avec des mecs pseudo badass qui marchent au ralenti, une nana qui se transforme en… bah en ce que vous voulez, même en clé USB s’il le faut) ? Un Cameron ne ressemble-t-il pas à un précédent Cameron (avec de la technologie upgradée, certes, mais comparez le scénario d’un Terminator et d’un Avatar…) ? Nicolas Cage ne fait-il pas du Nicolas Cage (à outrance parfois, cf. « Un talent en or massif ») ? Il y a une recette évidemment, qui marche, forcément… mais à la longue… qu’est-ce que ça apporte (à eux créateurs comme nous spectateurs/auditeurs/lecteurs) et est-ce nécessaire de continuer à le perpétrer et perpétuer au point de tomber dans ses propres stéréotypes voire d’en devenir un… ? On pourrait parler aussi de cette même dénomination de « l’industrie du cinéma », pas au sens « qui engage plein de corps de métier » (que je respecte chacun dans ses qualités du plus bas au plus haut de l’échelle, c’est-à-dire avant le producteur) mais qui fait un film non pas pour créer une œuvre mais pour faire du rendement (logique majors : si tu ne triples pas le coût de production, ton film est un échec… commercial), allant jusqu’à désacraliser le lieu de (re)présentation de ladite œuvre, la salle de cinéma (siège confortable, grand écran, colorimétrie respectée, son 7.1 pour plus d’immersion) au profit de ton salon avec une plateforme de A à Z (ton canap’ plus ou moins dans un état sanitaire correct, ton popcorn en sachet réchauffé au micro-ondes parce que flemme d’en faire un vrai, ton écran plat au contraste fadasse, ta barre de son achetée en fonction de ta capacité financière, avec une qualité très variable et au détriment de tes connaissances d’expert-ingénieur-son qui sache…) parce que « tu comprends ça coûte moins cher… et puis faut se bouger… » En effet, se faire un cordon bleu Père Dodu, c’est moins contraignant que de se préparer une petite bouffe avec une recette sur Jow… quant au rapport qualité-prix, à chacun de calculer…
Le monde métalleux est un perpétuel et infini paradoxe. Pour ne citer que le premier, le crédo, « on en a marre que le genre de ne soit pas reconnu ou bashé… mais on ne veut pas qu’il devienne mainstream et commercial ! » Les groupes, les artisans, les diffuseurs, le monde metal est confronté perpétuellement à ça : on veut de la nouveauté voire du changement… mais sans que ça change… Et sur ce même modèle que celui évoqué ci-dessus du cinéma, qui ne « consomme pas » de la musique sur Youtube, Bandcamp, Deezer, Spotify, etc. ? Qui ne préfère pas (/plus) le format numérique parce que « le CD, c’est chiant, ça prend de la place, et je peux plus le mettre dans ma voiture ? et pis en plus, j’ai trouvé un Torrent où je peux avoir mes albums gratos, donc…» Oui, oui,… mais ton CD/vinyle/autre support physique, bah, c’est de nombreux corps de métiers qui sont éradiqués aussi, du gars qui fait l’artwork, le livret, à celui qui se prend la tête à te faire un boitier particulier, en adéquation avec la thématique dudit album, de l’auteur ou du compositeur qui t’explique partiellement sa démarche artistique dans ce même livret voire y cache des easter eggs… tout ce qui propose un semblant de créativité est estompé voire oublié pour faire du chiffre et de l’économie d’échelle. Le cynisme est poussé des fois très loin puisque l’« artiste » est même obligé de sur-créer quitte à en devenir insipide et médiocre pour pouvoir vivre de son art ; je ne pourrai que m’extasier des années durant en évoquant les propos tenus il y a un (petit) moment par le boss de Spotify à qui les créateurs reprochaient de ne toucher que 0.000041 centimes sur une écoute d’un morceau quand lui se fait des nouilles encore : celui-là même qui a répondu « bah… vous avec qu’à créer davantage… » Eh oui, quand tu ne vas pas au concert, que tu ne prends pas de merch, un CD ou autre goodie, ton groupe préféré s’assoit sur sa capacité à toucher de l’argent pour créer de nouvelles œuvres ou encore, soyons fou, simplement bouffer… et se retrouve dans ce cercle vicieux : si tu veux en vivre, faut que tu vives pour ça, et tu seras pas franchement aidé ni par au-dessus ni par en-dessous…
Qu’est-ce que vous aimez dans un groupe metal ? Son identité ? Son incarnation ? Son « son » ? Qu’est-ce qui fait qu’un groupe doit être considéré comme « artiste » et jusqu’à quel point, en gros jusqu’à quand ? Est-ce qu’un groupe/musicien qui n’a fait qu’un album exceptionnel n’est pas un artiste ? Est-ce qu’un groupe qui fait toujours la même chose reste un « artiste » ou un artisan/appliquant/stéréotype ? A contrario, est-ce qu’un artiste qui se renouvelle au péril de sa notoriété reste un artiste ou n’est soumis à cette catégorisation que par le nombre de ses fans/followers ? Oui, ça fait beaucoup de questions d’un coup mais toutes corrélées et dont les liens se tissent et s’entrechoquent parfois, ou plutôt souvent.
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DLC, date limite de consommation ; DLUO, date limite d’utilisation optimale ; péremption, c’est foutu, tu peux jeter… J’utilise à dessein ces termes de l’agro-alimentaire. J’en ai parlé plus haut : que reste-t-il des arts si ce n’est une industrie non pas liée au beau mais au bénéfice financier ? Même ceux qui souhaitaient ou souhaiteraient devenir « artistes » sont piégés dans ce choix microcosme (mais liberté et créativité au prix de l’underground et la méconnaissance les plus totales du péquin) versus macrocosme (exploitation d’un filon et plein de fans parce que plus de diffusion mais à quel prix ?), avec un complexe du Messie plus ou moins prononcé.
Entendons nous bien : je ne jette la pierre sur personne, quel que soit le choix de celui qui fait que vous entendez des sons qui vous plaisent et vont titiller votre tympan. Mais vous, lecteurs, et donc auditeurs, qu’est-ce que vous en attendez, de facto ? Une copie d’un truc que vous aimez bien ou quelque chose qui vous surprenne, pas forcément au niveau d’un syndrome de Stendhal, mais qui vous sorte des sentiers déjà tellement battus que les ornières du niveau de celles d’un tracteur ne permettent même plus de circuler sans s’enliser ? Les groupes aussi sont confrontés à ce questionnement entre « est-ce que je le fais parce que ça me plait ou est-ce que je le fais pour plaire ? » et tombent inévitablement dans l’Ouroboros « besoin de de fric > besoin de vendre > besoin d’acheteurs… pardon, auditeurs/fans > besoin de publicité [ad lib] » et donc comment rester créatif quand tu sais que l’épée de Damoclès va te tomber sur la tronche selon le parti que tu prends entre faire ce qui fait/a fait ton identité, te renouveler et faire ce qu’« on » attend de toi… surtout avec un public qui est lui-même bipolaire. Est-ce qu’on attend d’AC/DC qu’il fasse autre chose que du AC/DC ou est-ce qu’on ne va pas leur reprocher de faire du AC/DC ? Pourquoi Iron Maiden ne joue quasiment que des anciens titres qui ont fait sa renommée au lieu de nouveaux, même quand ils viennent de sortir un album ? Est-ce qu’un Rammstein qui irait flirter avec Universal plutôt qu’un label qui ne lui mettrait pas un cahier des charges XXL dans les pattes peut redevenir ce qui a fait du Rammstein et pas ce qui va faire vendre DU Rammstein pour alimenter les comptes de Universal, quitte à perdre son intégrité ? Est-ce qu’un In Flames qui ferait du Metalcore ou un Metallica/Machine Head qui ferait du Néo Metal prennent des risques pour évoluer ou pour vendre davantage, avec la sanction de perdre leur auditoire, celui qui a apprécié leur identité musicale différente des autres ? Est-ce qu’un Dimmu Borgir passé chez Nuclear Blast va pouvoir évoluer (pas seulement dans les moyens technologiques… Coucou Æonian sans orchestre symphonique mais avec des banques de son compressés) ou péricliter ?
Évidemment, dans cette réflexion générale, je ne vais évoquer que les groupes déjà bien implantés dans la scène Metal, avec en sous-texte l’idée du recul sur sa place dans les Arts. Et pour continuer chez les « gros », est-ce que le recul sur son travail est possible quand tu as le nez dans le guidon AKA des tournées interminables avec des concerts à la chaîne au point que c’est ta seule vie, que chaque lieu porte un nom interchangeable au point que tu puisses te gourer puisque tu n’as même pas eu le temps de mettre le nez dehors pour voir à quoi ressemble la ville/le pays dans lequel tu vas jouer ? Est-ce que tu arrives encore ou as encore envie d’apprécier le soutien d’un public ou est-ce que c’est le seul lien humain qui te reste avec des personnes et leur degré de gratitude variable parce que par exemple, t’es claqué et t’as pas envie de faire un selfie et qu’on te dise « j’aime beaucoup ce que vous faites » pour la énième fois de la journée/semaine/mois, ce qui te sauve de la dépression dans laquelle tu vas t’enfoncer à force de ne plus surnager ? Comment un groupe peut avoir le recul nécessaire ou même le TEMPS de songer à de nouveaux morceaux, sans se copier-coller également, en étant le nez constamment dans le volant du tour bus ? Et aussi, LA grande question en tant qu’« artiste » : est-ce que j’ai encore des choses à dire ? Est-ce que je n’ai pas fait le tour ? Pour vous donner un exemple précis, je songeais à Arch Enemy (il s’agit d’UN exemple, je ne mets pas tous mes médiators dans la même poche) … Le groupe a commencé en faisant ce qu’on appellera par la suite du SwedDeath, en gros du Death Mélo suédois, un peu comme nombre à l’époque mais avec une petite patte spécifique, un mode de composition personnel, mais « comme les autres » dans la grande majorité. Puis arrive Angela Gossow au chant ; au-delà de cette particularité, le son et la composition évoluent et ils perdront bien évidemment les fans de la première heure parce que « c’est trop mélodique » … Mais, et c’est là ou je trouve cet exemple particulier : Angela Gossow « prend sa retraite ». J’imagine que Michael Amott avait encore des choses à dire et Alissa White Glusz prend la place de sa consœur au chant, dans un style vocal similaire… ce qui est inepte pour moi à l’époque, connaissant les capacités sous exploitées de la diva aux cheveux bleus du temps où elle exerçait dans The Agonist. Paraît alors War eternal, probablement pas le meilleur album du groupe même s’il contient pas mal de pépites mais il manque un truc, et ce malgré une évolution dans la forme (plus d’orchestre… donc trop mélodique pour certains, donc départ des autres fans). Les derniers parus sont pour moi assez insipides, Deceiver portant le nom le plus adéquat. Je les ai vus quelques fois, avec les deux chanteuses suscitées… mais pour les avoir vus lors d’un Hellfest, ma déception a été grande devant si peu d’interaction et l’impression de « date comme une autre » sans plus de contact avec le public, sans réelle part à l’improvisation… Péremption ou DLUO ou DLC, selon vous ?
Il y a aussi les groupes qui vont essayer de surfer sur la vague et la corde nostalgique (disons celle de Mi, par exemple) … Les reformations de groupes, parlons en justement… Oasis se reforme ! Youhouuuuh ! Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils ont de plus à apporter ? Slayer pourrait se reformer ! Youhouuuuh ! Même question… Dans quel but ? Est-ce que vivre de leurs « royalties » n’est pas mieux que de tenter de revenir avec une image écornée par le temps, avec l’usure assurée du « Et merde, on va encore rejouer Wonderwall/Angel of Death ce soir, et avec une poker face en plus » dissimulée derrière une absence de communication avec le public présent ? Un Klaus Meine plus foutu de chanter juste son « Still loving you » mais qui le fait quand même, ou un Ozzy en déambulateur, est-ce qu’il ne valait pas mieux savoir dire stop avant et se contenter d’être des légendes plutôt que de retomber dans une volonté d’exister qui ne fera que montrer la déchéance ? Ou pire, une caricature… Certains groupes, pour faire une analogie avec Nicolas Cage dont je parlais plus haut, sont tellement devenu leur propre cliché qu’ils essayent de faire croire qu’ils l’ont fait exprès depuis le départ, « maaaaais non, on déconnait depuis le débuuuut… et pour le prouver on va se parodier à outraaaance ». Qu’un groupe spécialisé en parodie invite un voire des acteurs de genre stéréotypés (je pense à Nanowar qui fait un morceau Sabaton-like avec Joakim Brodén en guest ou un autre Rhapsody-like avec Fabio Lione en guest) est logique… mais qu’un groupe n’assume pas ce qui a fait sa notoriété, en infantilisant par ce biais son auditoire passe moins bien auprès de moi ; si je suis la logique, en écoutant du BM qui te parle de sacrifier des vierges blondes au nom du grand Cornu, j’aurais dû devenir sataniste premier degré ? Bah… non, je ne suis pas forcément influençable à ce point… ou j’ai du recul… ou je sais que tout ceci est un grand cirque et qu’il faut prendre de la distance, tout comme je ne vais pas devenir un pervers en matant un minou poilu de Courbet (Gustave, hein… pas Julien) … Finalement, est-ce respecter son public que de vouloir en faire trop ?
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Mon objectif durant ce laïus n’est pas de faire un pamphlet, loin de là, mais d’exacerber vos talents de schizophrènes aux goûts changeants tel un chat qui voudrait « sorter » ou « rentrir » quand on lui ouvre la porte et vous proposer une réflexion sur le crédo Metal (voir plus haut), que je partage évidemment avec vous : on aimerait tous de la reconnaissance mais pas trop non plus parce que ça sonnerait faux. C’est un petit tour non exhaustif de pensées… Et je tiens à dire que j’aime les groupes dont j’ai parlé, tant qu’ils restent intègres, ce qui peut se ressentir même quand un groupe évolue dans son style. J’aurais pu citer bien des groupes, que j’aime ou ai aimés bien entendu et je respecte encore une fois leur choix tout en restant pragmatique ; je n’ai choisi que les plus marquants dans ma vie d’auditeur et de « suiveur » qui aime avoir ses madeleines de Proust mais n’est pas forcément passéiste, qui aime aussi être surpris en découvrant de nouveaux groupes (ça m’est arrivé encore récemment… c’est aussi ce qui fait que j’ai repris ma « plume » pour pondre les diverses bêtises que je vous narre sous couvert narquois de « je vous invite à réfléchir avec un max de recul »). Mais par-delà toute cette couche de blabla, et pour finir sur un point d’orgue, qui pourrait faire un autre long sujet de discussion : est-ce que le Metal n’a pas lui-même atteint sa date de péremption ?